
Dialogue de phoques :
« Archipel des îles Ouchkany, un jour chaud de juillet. Sur les bords du lac calme et brillant, une colonie de nerpa se détend sur des rochers brûlants. Deux d’entre eux, Pacha et Gricha, entament la conversation.
— Ce qu’on est bien ! s’écrie Pacha, allongé sur son flanc gris.
— Ah, ce que c’est bon ! Jamais je ne pourrais vivre ailleurs, répond Gricha en s’affalant aussi sur son ventre. Tu ne veux pas me gratter un peu le dos, dis ?
— Je veux bien te le gratter, mais tu promets de gratter le mien après ?
— Tais-toi et gratte ! Ah, ce que c’est bon? ! Ce qu’il fait chaud !
— Tu as grossi, mon vieux, tu pèses combien ?
— M’en parle pas? J’suis à 150 kilos, je me sens énorme. Mais que veux-tu, je ne peux pas m’empêcher de manger toute la journée !
— Tu as des nouvelles de Joulia ?
— Niet, elle ne m’écrit plus?
— Dommage, elle était jolie, elle avait les plus jolies moustaches de l’île?
— Da? Comme on dit, une de perdue, dix de retrouvées?
— C’est qui la petite là-bas qui agite ses nageoires ?
— C’est Anioucha? N’y pense même pas mon ami, t’es trop vieux pour elle.
— Merci pour le compliment ! Je te rappelle que j’ai un an de moins que toi. Au fait, tu fais quoi pour tes 40 ans ?
— La fête ! Ça te dit une soirée sur les berges avec tous les copains ?
— Tu es sérieux ? Mais on est deux mille sur l’île?
— Comme disent les Anglais : The more, the merrier ! On fera un barbecue extraordinaire, avec une sono à faire pâlir Mick Jagger. Ça va jazzer sur l’île ! Ah, ce qu’il fait chaud ! Faut que j’me retourne, je grille? Allez, j’te gratte un peu le dos? Tu lis quoi en ce moment ?
— Le Vieil Homme et la Mer, d’Hemingway, c’est pas mal? Un peu triste. Et toi ?
— Je viens de finir Idées pour une philosophie de la nature de Friedrich von Schelling? Grandiose, il a radicalement changé ma façon de voir la vie.
— Ah, bon ?
— Oui, tu ne peux pas comprendre, il faut que tu le lises? C’est qui là-bas sur le bateau ?
— Où ça ? Je ne vois rien, je n’ai pas mes lunettes? Et le soleil m’éblouit.
— Là-bas ! grogna Gricha en tendant la nageoire.
— Encore un deux-pattes qui nous prend en photo pour National Geographic?
— Non, derrière? Regarde, il y a un bateau avec plein d’hommes à bord qui filment un gars en kayak sur l’eau.
— Eux ? C’est Sean Penn et son équipe. Ils tournent la suite d’Into the Wild.
— Que dis-tu, dourak? Into the Wild, ça se passe en Alaska ! Et le héros meurt à la fin.
— Ah, bon ? C’est tragique?
— Que veux-tu? La liberté, payée au prix fort?
— Ça te dirait, toi, de faire du cinéma ?
— Sous l’objectif de Sean Penn ? L’idée me plaît. D’ailleurs, j’ai toujours été photogénique. Contrairement à toi?
— Merci, c’est aimable.
— Mon vieux, ce n’est pas de ta faute si tu es né gros, laid et bigleux. De toute façon, il est peu probable que je devienne une célébrité de suite. Tu me vois vivre loin d’Anioucha, Liouda, Joulia et toutes les autres ravissantes créatures autour de nous ?
— Niet ! Coquin va, on ne te changera pas? Dis, Gricha, j’ai comme un petit creux, pas toi ?
— Hum? Je ne dirais pas non à un omoul-frites !
— Ça te dit un plongeon ? On va chasser aussi du chabot et du golomyanka !
— Ça me va?
— Allez, on fait la course. Le dernier à l’eau offre la tournée de vodka !
Et les deux compères s’élancèrent dans un bêlement de joie. »
Le tire-bouchon (p. 25-29)
Vainqueurs et vaincus (p. 146-150)
Extrait court
« Archipel des îles Ouchkany, un jour chaud de juillet. Sur les bords du lac calme et brillant, une colonie de nerpa se détend sur des rochers brûlants. Deux d’entre eux, Pacha et Gricha, entament la conversation.
— Ce qu’on est bien ! s’écrie Pacha, allongé sur son flanc gris.
— Ah, ce que c’est bon ! Jamais je ne pourrais vivre ailleurs, répond Gricha en s’affalant aussi sur son ventre. Tu ne veux pas me gratter un peu le dos, dis ?
— Je veux bien te le gratter, mais tu promets de gratter le mien après ?
— Tais-toi et gratte ! Ah, ce que c’est bon? ! Ce qu’il fait chaud !
— Tu as grossi, mon vieux, tu pèses combien ?
— M’en parle pas? J’suis à 150 kilos, je me sens énorme. Mais que veux-tu, je ne peux pas m’empêcher de manger toute la journée !
— Tu as des nouvelles de Joulia ?
— Niet, elle ne m’écrit plus?
— Dommage, elle était jolie, elle avait les plus jolies moustaches de l’île?
— Da? Comme on dit, une de perdue, dix de retrouvées?
— C’est qui la petite là-bas qui agite ses nageoires ?
— C’est Anioucha? N’y pense même pas mon ami, t’es trop vieux pour elle.
— Merci pour le compliment ! Je te rappelle que j’ai un an de moins que toi. Au fait, tu fais quoi pour tes 40 ans ?
— La fête ! Ça te dit une soirée sur les berges avec tous les copains ?
— Tu es sérieux ? Mais on est deux mille sur l’île?
— Comme disent les Anglais : The more, the merrier ! On fera un barbecue extraordinaire, avec une sono à faire pâlir Mick Jagger. Ça va jazzer sur l’île ! Ah, ce qu’il fait chaud ! Faut que j’me retourne, je grille? Allez, j’te gratte un peu le dos? Tu lis quoi en ce moment ?
— Le Vieil Homme et la Mer, d’Hemingway, c’est pas mal? Un peu triste. Et toi ?
— Je viens de finir Idées pour une philosophie de la nature de Friedrich von Schelling? Grandiose, il a radicalement changé ma façon de voir la vie.
— Ah, bon ?
— Oui, tu ne peux pas comprendre, il faut que tu le lises? C’est qui là-bas sur le bateau ?
— Où ça ? Je ne vois rien, je n’ai pas mes lunettes? Et le soleil m’éblouit.
— Là-bas ! grogna Gricha en tendant la nageoire.
— Encore un deux-pattes qui nous prend en photo pour National Geographic?
— Non, derrière? Regarde, il y a un bateau avec plein d’hommes à bord qui filment un gars en kayak sur l’eau.
— Eux ? C’est Sean Penn et son équipe. Ils tournent la suite d’Into the Wild.
— Que dis-tu, dourak? Into the Wild, ça se passe en Alaska ! Et le héros meurt à la fin.
— Ah, bon ? C’est tragique?
— Que veux-tu? La liberté, payée au prix fort?
— Ça te dirait, toi, de faire du cinéma ?
— Sous l’objectif de Sean Penn ? L’idée me plaît. D’ailleurs, j’ai toujours été photogénique. Contrairement à toi?
— Merci, c’est aimable.
— Mon vieux, ce n’est pas de ta faute si tu es né gros, laid et bigleux. De toute façon, il est peu probable que je devienne une célébrité de suite. Tu me vois vivre loin d’Anioucha, Liouda, Joulia et toutes les autres ravissantes créatures autour de nous ?
— Niet ! Coquin va, on ne te changera pas? Dis, Gricha, j’ai comme un petit creux, pas toi ?
— Hum? Je ne dirais pas non à un omoul-frites !
— Ça te dit un plongeon ? On va chasser aussi du chabot et du golomyanka !
— Ça me va?
— Allez, on fait la course. Le dernier à l’eau offre la tournée de vodka !
Et les deux compères s’élancèrent dans un bêlement de joie. »
(p. 87-89)
Le tire-bouchon (p. 25-29)
Vainqueurs et vaincus (p. 146-150)
Extrait court