
Entre deux mondes :
« La fête a lieu dans une sorte de palais des congrès perdu au milieu de résidences à peine construites et inhabitées. Tout autour, c’est le désert. Des 4x4 aux vitres teintées sortent d’un nuage de poussière et déposent enfants et femmes en noir à l’entrée. Puis repartent. L’événement est interdit aux hommes. Les ombres s’engouffrent dans le hall et s’agglutinent derrière un comptoir. Je suis le mouvement. Comme à toutes mes consœurs on me demande mon téléphone portable. Quand je tends mon vieux Nokia, l’hôtesse me signifie d’un geste de la main que je peux le garder : il n’a pas de caméra ; je ne pourrai pas prendre de photos à la dérobée. Après être entrées, elles se dirigent vers les toilettes ou entrent directement dans la salle. La plupart vont se défaire de leur niqab et de leur abaya pour exhiber de sublimes robes de soirée et un maquillage de scène. D’autres portent un tailleur-jupe longue ; certaines conservent leur abaya, voire restent intégralement voilées. Aucune ne porte de pantalon. Il y a un décalage frappant entre toutes ces femmes, une sorte de revendication identitaire. Il y a celles qui se font belles et s’exhibent, celles qui veulent transmettre une image de femme active et professionnelle et celles qui préfèrent conserver leur anonymat. Elles finissent par s’attabler et commencent à manger. Je me joins à un groupe de jeunes filles ; nous échangeons timidement quelques mots. La conversation est un peu difficile au départ ; certaines ne parlent pas anglais et mon arabe est de plus en plus limité. Nous nous contentons de sourire. Elles s’intéressent à moi et me le démontrent par de petites attentions. Elles tentent de m’expliquer la composition des mets, elles s’occupent de mes enfants que j’ai emmenés à propos. Ils sont d’ailleurs un parfait sujet d’intérêt. Les jeunes Saoudiennes sont heureuses de les prendre sur leurs genoux et de les chouchouter. J’essaie de les interroger sur leurs centres d’intérêt, sur leurs rêves de jeunes femmes. Elles ne savent pas trop quoi me répondre. Me parlent de séries télé et d’idoles que je ne connais pas. Je leur demande pourquoi elles sont venues ici ; est-ce que c’est une façon pour elles d’occuper leur temps ? De rencontrer des amies ? Ma voisine m’explique alors que certaines sont là pour se faire voir. Elles viennent pour se faire repérer. “Repérer par quoi ? Par qui ?” dis-je incrédule. “Elles espèrent que la mère de leur futur mari les remarque. Ce genre de fêtes et les mariages sont propices à cela.” Je demande alors à mon interlocutrice pourquoi elle n’a pas enlevé son abaya ; elle sourit sans me répondre.
Quand je quitte la fête, quelqu’un me tape sur l’épaule. Je me retourne et fais face à une femme intégralement voilée. Indiscernable dans cette nuit opaque. Les yeux et la voix me laissent penser qu’elle a une cinquantaine d’années. Je mets un peu de temps à comprendre ce qu’elle me veut ; son attitude a quelque chose de confidentiel, comme si elle voulait me confier un secret. En chuchotant, elle me dit qu’elle est journaliste et souhaite m’interviewer. Je n’en reviens pas. La situation est totalement incongrue. Elle me dit s’appeler Nouzha. Je lui laisse mon numéro de téléphone. Le lendemain, elle me rappelle. Elle veut que nous nous revoyions. Une énorme porte semble s’ouvrir. »
Le camp (p. 60-63)
Les portes s’ouvrent (p. 315-317)
Extrait court
« La fête a lieu dans une sorte de palais des congrès perdu au milieu de résidences à peine construites et inhabitées. Tout autour, c’est le désert. Des 4x4 aux vitres teintées sortent d’un nuage de poussière et déposent enfants et femmes en noir à l’entrée. Puis repartent. L’événement est interdit aux hommes. Les ombres s’engouffrent dans le hall et s’agglutinent derrière un comptoir. Je suis le mouvement. Comme à toutes mes consœurs on me demande mon téléphone portable. Quand je tends mon vieux Nokia, l’hôtesse me signifie d’un geste de la main que je peux le garder : il n’a pas de caméra ; je ne pourrai pas prendre de photos à la dérobée. Après être entrées, elles se dirigent vers les toilettes ou entrent directement dans la salle. La plupart vont se défaire de leur niqab et de leur abaya pour exhiber de sublimes robes de soirée et un maquillage de scène. D’autres portent un tailleur-jupe longue ; certaines conservent leur abaya, voire restent intégralement voilées. Aucune ne porte de pantalon. Il y a un décalage frappant entre toutes ces femmes, une sorte de revendication identitaire. Il y a celles qui se font belles et s’exhibent, celles qui veulent transmettre une image de femme active et professionnelle et celles qui préfèrent conserver leur anonymat. Elles finissent par s’attabler et commencent à manger. Je me joins à un groupe de jeunes filles ; nous échangeons timidement quelques mots. La conversation est un peu difficile au départ ; certaines ne parlent pas anglais et mon arabe est de plus en plus limité. Nous nous contentons de sourire. Elles s’intéressent à moi et me le démontrent par de petites attentions. Elles tentent de m’expliquer la composition des mets, elles s’occupent de mes enfants que j’ai emmenés à propos. Ils sont d’ailleurs un parfait sujet d’intérêt. Les jeunes Saoudiennes sont heureuses de les prendre sur leurs genoux et de les chouchouter. J’essaie de les interroger sur leurs centres d’intérêt, sur leurs rêves de jeunes femmes. Elles ne savent pas trop quoi me répondre. Me parlent de séries télé et d’idoles que je ne connais pas. Je leur demande pourquoi elles sont venues ici ; est-ce que c’est une façon pour elles d’occuper leur temps ? De rencontrer des amies ? Ma voisine m’explique alors que certaines sont là pour se faire voir. Elles viennent pour se faire repérer. “Repérer par quoi ? Par qui ?” dis-je incrédule. “Elles espèrent que la mère de leur futur mari les remarque. Ce genre de fêtes et les mariages sont propices à cela.” Je demande alors à mon interlocutrice pourquoi elle n’a pas enlevé son abaya ; elle sourit sans me répondre.
Quand je quitte la fête, quelqu’un me tape sur l’épaule. Je me retourne et fais face à une femme intégralement voilée. Indiscernable dans cette nuit opaque. Les yeux et la voix me laissent penser qu’elle a une cinquantaine d’années. Je mets un peu de temps à comprendre ce qu’elle me veut ; son attitude a quelque chose de confidentiel, comme si elle voulait me confier un secret. En chuchotant, elle me dit qu’elle est journaliste et souhaite m’interviewer. Je n’en reviens pas. La situation est totalement incongrue. Elle me dit s’appeler Nouzha. Je lui laisse mon numéro de téléphone. Le lendemain, elle me rappelle. Elle veut que nous nous revoyions. Une énorme porte semble s’ouvrir. »
(p. 131-133)
Le camp (p. 60-63)
Les portes s’ouvrent (p. 315-317)
Extrait court