Cap Horn :
« Dans la soirée, nous dépassons les îles Barnevelt, avant-poste de l’archipel du cap Horn. La fièvre monte à bord. C’est pour cette nuit. L’obscurité arrive tard à cette latitude de 56° sud, en ces temps proches du solstice. La nuit ne dure véritablement que trois ou quatre heures. Et encore, il y a toujours une clarté diffuse à l’horizon sud, comme si les glaces de l’Antarctique nous renvoyaient des rayons de leur soleil de minuit.
La mer est hachée, le vent est toujours vigoureux, la grand-voile porte deux ris. À notre surprise, une lueur apparaît au large, vers le sud-ouest, comme sortie de nulle part. La lumière grossit, et nous tentons de communiquer avec elle en VHF. Quelques mots nous en parviennent, comme issus du néant liquide qui s’ouvre au-delà du cap Horn et dont on pressent l’immensité : “New Zealand? Pacific Ocean? bad weather? petrol industry? Falkland.” Puis le bateau fantôme disparaît, avalé par le sombre horizon de l’est.
Enfin, dans la grisaille du crépuscule qui n’en finit pas de tomber, j’aperçois au loin l’île Horn. Ce qui me fait revendiquer une triple ration de tafia. Il fait froid dehors et le vent mollit. Le rythme des quarts continue, finalement interrompu par l’appel, sobre mais chargé d’émotion, de Thierry à 3 heures du matin ce dimanche 28 décembre : “On y est.”
Nous nous retrouvons tous sur le pont, sous les faibles éclats du phare. Le bouchon de la bouteille de champagne prévue à cet effet va rejoindre les flots de l’océan Pacifique dans lequel La Volta fait son entrée. Selon la tradition, en tant que cap-horniers, nous avons désormais le droit de “cracher au vent”, ce dont nous ne nous privons pas. Passée l’euphorie du moment, nous nous calmons et admirons le rocher.
À cette heure, la mythique falaise de 424 mètres est comme une imposante forme noire surgie des flots, avant-poste du continent américain. Nous connaissons cette silhouette pour l’avoir vue et revue sur les photos qui nous faisaient rêver dans les livres de mer. Ce passage dans la pénombre d’une nuit australe est particulièrement envoûtant. Le silence règne maintenant à bord. Le phare nous lance ses furtifs clins d’œil, un éclat blanc toutes les douze secondes. Chacun a vécu intensément ces dernières journées et chacun vit à présent son Horn. Éric, songeur, dessine le cap majestueux. Thierry et moi rêvons aux 8 000 milles parcourus depuis plus de six mois, et à l’objectif atteint. Notre émotion est intérieure. Nous savons que nous n’en prendrons pleinement conscience qu’au fil du temps. L’heure est plutôt aux douces flâneries de l’esprit. Et le cap Horn est là.
Alors que peu à peu nous nous en éloignons dans le jour renaissant, son cône minéral et déchiré semble nous renvoyer à notre insignifiance. Enfin Stéfan écrit dans le livre de bord : “Trempés mais heureux, nous laissons le Horn dans notre sillage. Nous ne serons plus jamais les mêmes. Nous serons pires.” »
La maturation (p. 167-168)
La balade des confins (p. 234)
Extrait court
Extraits d’articles
Le cap Horn
La volta du grand large
El Niño
« Dans la soirée, nous dépassons les îles Barnevelt, avant-poste de l’archipel du cap Horn. La fièvre monte à bord. C’est pour cette nuit. L’obscurité arrive tard à cette latitude de 56° sud, en ces temps proches du solstice. La nuit ne dure véritablement que trois ou quatre heures. Et encore, il y a toujours une clarté diffuse à l’horizon sud, comme si les glaces de l’Antarctique nous renvoyaient des rayons de leur soleil de minuit.
La mer est hachée, le vent est toujours vigoureux, la grand-voile porte deux ris. À notre surprise, une lueur apparaît au large, vers le sud-ouest, comme sortie de nulle part. La lumière grossit, et nous tentons de communiquer avec elle en VHF. Quelques mots nous en parviennent, comme issus du néant liquide qui s’ouvre au-delà du cap Horn et dont on pressent l’immensité : “New Zealand? Pacific Ocean? bad weather? petrol industry? Falkland.” Puis le bateau fantôme disparaît, avalé par le sombre horizon de l’est.
Enfin, dans la grisaille du crépuscule qui n’en finit pas de tomber, j’aperçois au loin l’île Horn. Ce qui me fait revendiquer une triple ration de tafia. Il fait froid dehors et le vent mollit. Le rythme des quarts continue, finalement interrompu par l’appel, sobre mais chargé d’émotion, de Thierry à 3 heures du matin ce dimanche 28 décembre : “On y est.”
Nous nous retrouvons tous sur le pont, sous les faibles éclats du phare. Le bouchon de la bouteille de champagne prévue à cet effet va rejoindre les flots de l’océan Pacifique dans lequel La Volta fait son entrée. Selon la tradition, en tant que cap-horniers, nous avons désormais le droit de “cracher au vent”, ce dont nous ne nous privons pas. Passée l’euphorie du moment, nous nous calmons et admirons le rocher.
À cette heure, la mythique falaise de 424 mètres est comme une imposante forme noire surgie des flots, avant-poste du continent américain. Nous connaissons cette silhouette pour l’avoir vue et revue sur les photos qui nous faisaient rêver dans les livres de mer. Ce passage dans la pénombre d’une nuit australe est particulièrement envoûtant. Le silence règne maintenant à bord. Le phare nous lance ses furtifs clins d’œil, un éclat blanc toutes les douze secondes. Chacun a vécu intensément ces dernières journées et chacun vit à présent son Horn. Éric, songeur, dessine le cap majestueux. Thierry et moi rêvons aux 8 000 milles parcourus depuis plus de six mois, et à l’objectif atteint. Notre émotion est intérieure. Nous savons que nous n’en prendrons pleinement conscience qu’au fil du temps. L’heure est plutôt aux douces flâneries de l’esprit. Et le cap Horn est là.
Alors que peu à peu nous nous en éloignons dans le jour renaissant, son cône minéral et déchiré semble nous renvoyer à notre insignifiance. Enfin Stéfan écrit dans le livre de bord : “Trempés mais heureux, nous laissons le Horn dans notre sillage. Nous ne serons plus jamais les mêmes. Nous serons pires.” »
(p. 214-215)
La maturation (p. 167-168)
La balade des confins (p. 234)
Extrait court
Extraits d’articles
Le cap Horn
La volta du grand large
El Niño