Frontières immuables :
« Nous atteignons les habitations, d’où sort une femme à notre arrivée. Nous sommes à peine descendues de nos montures qu’elle s’empresse d’attraper leurs brides pour les nouer à un poteau. Aucune parole n’est échangée, nul besoin car elle a bien senti notre peur. La sérénité qu’elle dégage est la preuve que le ciel ne l’effraie pas, qu’elle en a connu d’autres. Elle comprend notre crainte et agit pour nous mettre à l’abri aussi vite que possible, avec nos affaires, au moment même où le ciel nous tombe littéralement sur la tête. Les chevaux, une nouvelle fois, restent stoïques.
En un instant, nous voici plongées dans le cocon de feutre, un bol de thé chaud entre les mains et le regard apaisant de la femme posé sur nous. Elle nous observe, sans dire un mot. Pour elle, nous sommes deux voyageuses, deux nomades. L’origine, le sexe ou la couleur de peau n’ont aucune importance. Les Kirghizes connaissent trop bien l’âpreté de leur environnement et offrent à l’inconnu de passage chaleur et abri sans une once d’hésitation. Il n’y a pas de questions ou d’attente en échange de cette hospitalité, qui est une évidence vitale. Une solidarité simple et pure entre hommes partageant ces terres magnifiques. L’hospitalité à l’état brut, magique dans sa sincérité et sa spontanéité, indescriptible.
De longues minutes s’écoulent tandis que l’orage se déchaîne. Il projette sa force contre les fines parois de la yourte. Un rapide coup d’œil à l’extérieur nous rassure : nos chevaux sont résistants et habitués. Ils se tiennent là, paisibles malgré les éclairs, comme bercés par le tonnerre. Ben, lui, s’est roulé en boule, le museau protégé sous sa queue touffue. Ses trois épaisseurs de poils forment un rempart inégalé contre le froid et la pluie. Ses tremblements montrent en revanche qu’il est terrifié?
Après un autre bol de thé et quelques bouts de pain, nous laissons notre regard glisser à l’intérieur de l’habitation. Il y a fort peu de choses ici, juste l’essentiel. Les yourtes ne sont utilisées que pendant les mois estivaux. La saison nomade terminée, elles sont démontées, séchées et descendues en camion au village. D’où leur dépouillement?
Une commode fait office de cuisine avec, à l’intérieur, quelques bols, des gamelles et le nécessaire pour préparer les repas. En dessous, des sacs protègent le riz et la farine qui serviront à confectionner le pain, les pâtes fraîches et les plats traditionnels. Un large tonneau duquel dépasse un manche en bois trône fièrement à côté ; c’est dedans que le lait de jument est déversé. Voilà pour la cuisine. Non loin, un miroir est accroché, avec une joyeuse panoplie de brosses à dents et de rasoirs ; voilà la salle de bains.
Nous poursuivons la visite. Sans transition, nous voici dans le salon avec ses coffres en bois, qui protègent les biens de la famille, notamment les livres d’anglais et les devoirs que les enfants, rentrés du village pour l’été, effectuent avec application. Les vacances ont beau être longues, il n’est pas question de laisser les études en suspens ! Ravies par ces découvertes, nous nous reposons, appuyées contre une pile de couvertures en admirant les tush kyiz. Ces grandes tentures murales sont brodées par les femmes de motifs évoquant la vie rurale : animaux, plantes et emblèmes colorés.
Repues, nous échangeons les premières paroles avec notre hôtesse. Elle se prénomme Anara et nous explique qu’elle habite ici avec son fils et son mari, parti surveiller leur troupeau. Nous avons une pensée émue pour lui, qui affronte l’orage – le lot quotidien des bergers de l’Ak-Say à la période estivale. Mais peut-être a-t-il trouvé refuge ailleurs ?
Le mauvais temps passe enfin. C’est le moment de nous remettre en selle, en remerciant Anara de nous avoir nourri le cœur autant que le corps. »
Un col initiatique (p. 49-51)
Plongée dans l’histoire kirghize (p. 156-158)
Extrait court
« Nous atteignons les habitations, d’où sort une femme à notre arrivée. Nous sommes à peine descendues de nos montures qu’elle s’empresse d’attraper leurs brides pour les nouer à un poteau. Aucune parole n’est échangée, nul besoin car elle a bien senti notre peur. La sérénité qu’elle dégage est la preuve que le ciel ne l’effraie pas, qu’elle en a connu d’autres. Elle comprend notre crainte et agit pour nous mettre à l’abri aussi vite que possible, avec nos affaires, au moment même où le ciel nous tombe littéralement sur la tête. Les chevaux, une nouvelle fois, restent stoïques.
En un instant, nous voici plongées dans le cocon de feutre, un bol de thé chaud entre les mains et le regard apaisant de la femme posé sur nous. Elle nous observe, sans dire un mot. Pour elle, nous sommes deux voyageuses, deux nomades. L’origine, le sexe ou la couleur de peau n’ont aucune importance. Les Kirghizes connaissent trop bien l’âpreté de leur environnement et offrent à l’inconnu de passage chaleur et abri sans une once d’hésitation. Il n’y a pas de questions ou d’attente en échange de cette hospitalité, qui est une évidence vitale. Une solidarité simple et pure entre hommes partageant ces terres magnifiques. L’hospitalité à l’état brut, magique dans sa sincérité et sa spontanéité, indescriptible.
De longues minutes s’écoulent tandis que l’orage se déchaîne. Il projette sa force contre les fines parois de la yourte. Un rapide coup d’œil à l’extérieur nous rassure : nos chevaux sont résistants et habitués. Ils se tiennent là, paisibles malgré les éclairs, comme bercés par le tonnerre. Ben, lui, s’est roulé en boule, le museau protégé sous sa queue touffue. Ses trois épaisseurs de poils forment un rempart inégalé contre le froid et la pluie. Ses tremblements montrent en revanche qu’il est terrifié?
Après un autre bol de thé et quelques bouts de pain, nous laissons notre regard glisser à l’intérieur de l’habitation. Il y a fort peu de choses ici, juste l’essentiel. Les yourtes ne sont utilisées que pendant les mois estivaux. La saison nomade terminée, elles sont démontées, séchées et descendues en camion au village. D’où leur dépouillement?
Une commode fait office de cuisine avec, à l’intérieur, quelques bols, des gamelles et le nécessaire pour préparer les repas. En dessous, des sacs protègent le riz et la farine qui serviront à confectionner le pain, les pâtes fraîches et les plats traditionnels. Un large tonneau duquel dépasse un manche en bois trône fièrement à côté ; c’est dedans que le lait de jument est déversé. Voilà pour la cuisine. Non loin, un miroir est accroché, avec une joyeuse panoplie de brosses à dents et de rasoirs ; voilà la salle de bains.
Nous poursuivons la visite. Sans transition, nous voici dans le salon avec ses coffres en bois, qui protègent les biens de la famille, notamment les livres d’anglais et les devoirs que les enfants, rentrés du village pour l’été, effectuent avec application. Les vacances ont beau être longues, il n’est pas question de laisser les études en suspens ! Ravies par ces découvertes, nous nous reposons, appuyées contre une pile de couvertures en admirant les tush kyiz. Ces grandes tentures murales sont brodées par les femmes de motifs évoquant la vie rurale : animaux, plantes et emblèmes colorés.
Repues, nous échangeons les premières paroles avec notre hôtesse. Elle se prénomme Anara et nous explique qu’elle habite ici avec son fils et son mari, parti surveiller leur troupeau. Nous avons une pensée émue pour lui, qui affronte l’orage – le lot quotidien des bergers de l’Ak-Say à la période estivale. Mais peut-être a-t-il trouvé refuge ailleurs ?
Le mauvais temps passe enfin. C’est le moment de nous remettre en selle, en remerciant Anara de nous avoir nourri le cœur autant que le corps. »
(p. 67-68)
Un col initiatique (p. 49-51)
Plongée dans l’histoire kirghize (p. 156-158)
Extrait court