Minas Gerais :
« L’État est, avec celui de São Paulo, l’un des plus grands producteurs de bioéthanol au Brésil. À preuve, j’y entrai en longeant une usine de fabrication d’alcool bordée d’une vaste aire poussiéreuse où languissaient, dans la fournaise d’un jour sans ombre, des camions bondés de cannes fraîchement coupées. Plus loin, Fronteira : ville pauvre, abandonnée, aux rues grêlées de trous, aux voitures rongées par la rouille, à la population sombre, aux magasins désaffectés. Ville frontalière, naufragée dans le pli d’une division fédérale. À l’entrée, près du Christ rédempteur étiolé, sur une place de terre battue ardente, deux autobus vieillissants déversaient une marée de coupeurs de canne rentrant des champs où ils peinaient dès l’aube. Du bus s’épandaient harassement et sueur – la journée avait été étouffante. Mais une force – celle de la liberté recouvrée – permit encore l’improvisation d’un match de football, et la poussière soulevée par leur danse d’esquive rougeoyait dans les obliques pulsations du couchant.
La BR-153 se détériorait sitôt passée dans l’État : nids-de-poule profonds ; rapiècements sommaires et hâtifs qui boursouflaient la voie de kystes de goudron ; accotements envahis par une végétation touffue, et murés d’herbes hautes qui m’obligeaient à marcher au plus près de la route? Le danger en était accru, qui exigeait une vigilance redoublée envers les véhicules venant de face, mais également de dos lorsque ceux-ci se lançaient dans des dépassements “à la hussarde”, me frôlant parfois par inattention. Évoluer dans cet environnement était éreintant pour les nerfs et le corps tout entier qui, en plus d’efforts musculaires intenses, demeurait tendu des heures durant, aux aguets.
L’anticipation était de rigueur. Je ne voulais pas rejoindre les charognes puantes qui jonchaient les bas-côtés de l’asphalte et que je contournais soigneusement chaque jour, suspendant mon inspiration pour ne pas être saisi de nausée, fermant les paupières pour échapper à la vision des milliers de vers blancs festoyant de chair froide. »
Rio Grande do Sul (p. 33-37)
Maranhão (Nordeste) (p. 152-155)
Épilogue (p. 208-211)
« L’État est, avec celui de São Paulo, l’un des plus grands producteurs de bioéthanol au Brésil. À preuve, j’y entrai en longeant une usine de fabrication d’alcool bordée d’une vaste aire poussiéreuse où languissaient, dans la fournaise d’un jour sans ombre, des camions bondés de cannes fraîchement coupées. Plus loin, Fronteira : ville pauvre, abandonnée, aux rues grêlées de trous, aux voitures rongées par la rouille, à la population sombre, aux magasins désaffectés. Ville frontalière, naufragée dans le pli d’une division fédérale. À l’entrée, près du Christ rédempteur étiolé, sur une place de terre battue ardente, deux autobus vieillissants déversaient une marée de coupeurs de canne rentrant des champs où ils peinaient dès l’aube. Du bus s’épandaient harassement et sueur – la journée avait été étouffante. Mais une force – celle de la liberté recouvrée – permit encore l’improvisation d’un match de football, et la poussière soulevée par leur danse d’esquive rougeoyait dans les obliques pulsations du couchant.
La BR-153 se détériorait sitôt passée dans l’État : nids-de-poule profonds ; rapiècements sommaires et hâtifs qui boursouflaient la voie de kystes de goudron ; accotements envahis par une végétation touffue, et murés d’herbes hautes qui m’obligeaient à marcher au plus près de la route? Le danger en était accru, qui exigeait une vigilance redoublée envers les véhicules venant de face, mais également de dos lorsque ceux-ci se lançaient dans des dépassements “à la hussarde”, me frôlant parfois par inattention. Évoluer dans cet environnement était éreintant pour les nerfs et le corps tout entier qui, en plus d’efforts musculaires intenses, demeurait tendu des heures durant, aux aguets.
L’anticipation était de rigueur. Je ne voulais pas rejoindre les charognes puantes qui jonchaient les bas-côtés de l’asphalte et que je contournais soigneusement chaque jour, suspendant mon inspiration pour ne pas être saisi de nausée, fermant les paupières pour échapper à la vision des milliers de vers blancs festoyant de chair froide. »
(p. 74-75)
Rio Grande do Sul (p. 33-37)
Maranhão (Nordeste) (p. 152-155)
Épilogue (p. 208-211)