Une ligne de vie :
« Le marin apprend à interpréter le ciel et la houle pour prédire les changements du vent ; il lit la topographie et la flore marine pour détecter les hauts-fonds. Tant pis s’il se trompe. Entretenir une nouvelle relation avec la nature, la mer, les roches, cela peut être le moteur, la motivation, le sens d’un voyage. Comme le marcheur en terrain inconnu, on invente son chemin, ses mouillages, on vit les tempêtes plutôt que de les subir et on apprécie les nuits de repos dans le calme retrouvé. Lorsque, isolé du monde, il est seul face au péril, l’aventurier ne prend pas plus de risques qu’au cours de navigations côtières dans les eaux européennes. C’est bien sûr plus difficile, plus osé, plus intrépide. Mais le fait même de ne pouvoir compter que sur soi-même oblige à limiter les risques immédiats, les petits risques qui, multipliés, représentent une menace. Le marin au long cours prend des précautions extrêmes : ne jamais laisser le voilier seul à l’ancre sans être sûr de la tenue du mouillage, toujours porter un harnais relié à la bien nommée “ligne de vie” qui court d’un bout à l’autre du pont, effectuer les changements de voilure avant qu’ils ne soient indispensables? En somme, il prévoit des issues de secours. Ainsi, à bord de Saturnin, alors que j’étais en solitaire aux Kerguelen, deux gros bidons en plastique contenaient un nécessaire de survie : abri précaire, nourriture, carte, pharmacie, et de quoi chasser et pêcher. C’étaient les objets à sauver en cas de perte du voilier.
Il est surprenant de constater qu’on s’habitue parfaitement à vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Les risques des voyages maritimes sont nombreux : couler, chavirer, s’échouer, se blesser, tomber malade, passer par-dessus bord. Parfois, avant une traversée, on y pense, avec un pincement au cœur. Mais une fois en mer, au milieu de son élément, on les oublie, concentré sur la conduite du voyage. Il est même étonnant à quel point le fait de lutter contre des éléments tangibles, le vent, les vagues, la roche, aide à surmonter la peur. Il n’y a pas d’inconnu en eux, aucune traîtrise sournoise, et une manœuvre bien choisie permet de dépasser l’obstacle. Comme le grimpeur qui ne peut atteindre son but s’il pense sans cesse à la chute, le marin doit d’abord se concentrer sur la réussite.
Si un équipage veut vivre à fond une aventure maritime, quelle qu’en soit l’échelle, un tour du monde, un voyage à la glace, une croisière côtière sur un petit voilier, il doit se résoudre à prendre des risques et à les assumer. Dans les années 1978-1980, un journaliste écrivit dans un magazine de voile que ceux qui partaient pour une course en solitaire devaient se passer de radio et de balise de détresse, et accepter de mourir en gentlemen. Ces propos peuvent choquer par leur caractère outrancier, mais il faut se rappeler qu’à l’époque les voiliers qui partaient pour une course océanique n’étaient pas nécessairement équipés de radio. En 1976, alors que la flotte était décimée par le mauvais temps, Éric Tabarly coupa en tête la ligne d’arrivée de la Transat anglaise sans avoir donné de nouvelles depuis le départ?
C’est cet état d’esprit que j’ai appliqué lors de mes voyages, et qui m’a permis de mener à bien mes aventures, de les vivre intensément et pleinement, et d’en revenir. Demander des secours en cas de besoin, cela va de soi, mais seulement en dernier recours. Il faut d’abord apprendre la mer et respecter ses règles si l’on veut être marin, et être capable de se débrouiller seul lorsque survient une avarie. »
Otage de la tempête (p. 11-15)
La mer, la nuit (p. 33-36)
Extrait court
« Le marin apprend à interpréter le ciel et la houle pour prédire les changements du vent ; il lit la topographie et la flore marine pour détecter les hauts-fonds. Tant pis s’il se trompe. Entretenir une nouvelle relation avec la nature, la mer, les roches, cela peut être le moteur, la motivation, le sens d’un voyage. Comme le marcheur en terrain inconnu, on invente son chemin, ses mouillages, on vit les tempêtes plutôt que de les subir et on apprécie les nuits de repos dans le calme retrouvé. Lorsque, isolé du monde, il est seul face au péril, l’aventurier ne prend pas plus de risques qu’au cours de navigations côtières dans les eaux européennes. C’est bien sûr plus difficile, plus osé, plus intrépide. Mais le fait même de ne pouvoir compter que sur soi-même oblige à limiter les risques immédiats, les petits risques qui, multipliés, représentent une menace. Le marin au long cours prend des précautions extrêmes : ne jamais laisser le voilier seul à l’ancre sans être sûr de la tenue du mouillage, toujours porter un harnais relié à la bien nommée “ligne de vie” qui court d’un bout à l’autre du pont, effectuer les changements de voilure avant qu’ils ne soient indispensables? En somme, il prévoit des issues de secours. Ainsi, à bord de Saturnin, alors que j’étais en solitaire aux Kerguelen, deux gros bidons en plastique contenaient un nécessaire de survie : abri précaire, nourriture, carte, pharmacie, et de quoi chasser et pêcher. C’étaient les objets à sauver en cas de perte du voilier.
Il est surprenant de constater qu’on s’habitue parfaitement à vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Les risques des voyages maritimes sont nombreux : couler, chavirer, s’échouer, se blesser, tomber malade, passer par-dessus bord. Parfois, avant une traversée, on y pense, avec un pincement au cœur. Mais une fois en mer, au milieu de son élément, on les oublie, concentré sur la conduite du voyage. Il est même étonnant à quel point le fait de lutter contre des éléments tangibles, le vent, les vagues, la roche, aide à surmonter la peur. Il n’y a pas d’inconnu en eux, aucune traîtrise sournoise, et une manœuvre bien choisie permet de dépasser l’obstacle. Comme le grimpeur qui ne peut atteindre son but s’il pense sans cesse à la chute, le marin doit d’abord se concentrer sur la réussite.
Si un équipage veut vivre à fond une aventure maritime, quelle qu’en soit l’échelle, un tour du monde, un voyage à la glace, une croisière côtière sur un petit voilier, il doit se résoudre à prendre des risques et à les assumer. Dans les années 1978-1980, un journaliste écrivit dans un magazine de voile que ceux qui partaient pour une course en solitaire devaient se passer de radio et de balise de détresse, et accepter de mourir en gentlemen. Ces propos peuvent choquer par leur caractère outrancier, mais il faut se rappeler qu’à l’époque les voiliers qui partaient pour une course océanique n’étaient pas nécessairement équipés de radio. En 1976, alors que la flotte était décimée par le mauvais temps, Éric Tabarly coupa en tête la ligne d’arrivée de la Transat anglaise sans avoir donné de nouvelles depuis le départ?
C’est cet état d’esprit que j’ai appliqué lors de mes voyages, et qui m’a permis de mener à bien mes aventures, de les vivre intensément et pleinement, et d’en revenir. Demander des secours en cas de besoin, cela va de soi, mais seulement en dernier recours. Il faut d’abord apprendre la mer et respecter ses règles si l’on veut être marin, et être capable de se débrouiller seul lorsque survient une avarie. »
(p. 53-56)
Otage de la tempête (p. 11-15)
La mer, la nuit (p. 33-36)
Extrait court