Naître une seconde fois :
« L’expérience de la survie ne se réduit pas à un temps pédagogique, relaxant ou ludique ; c’est une forme d’initiation. Le terme paraît fort, mais j’ai été témoin d’étonnantes métamorphoses au côté de dizaines de voyageurs, aventuriers ou compagnons d’infortune? Il faut reconnaître que notre époque a banni les anciens rites de passage. Même les déplacements à l’étranger, qui sont devenus des circuits aménagés et organisés, ont perdu la capacité de nous plonger dans l’inconnu et de nous soumettre à des épreuves. Disons-le simplement : ils ont cessé d’être initiatiques. Dès lors, les individus cherchent de nouveaux repères, s’attristent de l’absence de modèles éducatifs, regrettent les événements collectifs qui participaient de la symbolisation du monde et le rendaient familier. L’engouement pour la marche et notamment les pèlerinages s’explique : on brise la routine, s’expose à des épreuves physiques et morales, gagne en liberté, peut se métamorphoser loin du regard des proches, avoir du temps pour soi et, au retour, on est reconnu comme différent, transformé.
Les formations de survie attirent ainsi des personnes en quête de sens qui souhaitent jalonner leur existence d’une épreuve marquante. Des organisateurs malins choisissent même de s’adapter à ce nouveau public en proposant des stages “spécial enterrement de vie de célibataire”. Ce n’est pas un effet de mode mais un symptôme révélateur de l’absence de profondeur de nos existences. La société ne reconnaissant plus ses individus, certains aspirent à être remarqués. À défaut d’indicateurs admis collectivement, ils réinventent les modalités de reconnaissance de leur transformation intérieure. Je vois ainsi prendre part à mes stages des pères avec leur fils pour vivre un moment “à la dure” à l’occasion de la majorité du fiston. On voit d’ailleurs croître l’âge des volontaires, désireux de faire le point à un tournant dans leur vie. Survivre, c’est découvrir qui on est et de quoi on est capable en cherchant au fond de soi-même?
Le stage de survie est perçu comme une épreuve physique et morale, sensée, positive, comprenant néanmoins un certain niveau d’exposition à la douleur – par l’absence de confort et par la confrontation aux éléments dans un dénuement teinté de pureté. Ainsi il devient un rite de passage, avec son étape préliminaire : on se prépare, on s’équipe, on l’explique à ses amis étonnés? Arrive ensuite la séparation : on franchit un seuil, on se relègue en marge de la société, à l’extérieur de la cité, sans protection, exposé au vent et à la pluie, au froid ou au soleil, sans parasol ni crème solaire ! Puis vient le temps de la mutation vers un état nouveau : on en ressort “survivant” – certes parfois en arborant un t-shirt frappé d’un emblème et en diffusant sa photo sur les réseaux sociaux? Et on gagne cette reconnaissance que la société nous refusait.
Pourquoi cela plutôt qu’une simple randonnée d’une semaine en montagne ou sur le chemin de Compostelle ? Parce que le concept de survie inclut une forme de dépassement de soi, de souffrance. Or, initiation et souffrance ont toujours fait bon ménage. Et pour cause, avoir le sentiment de mourir pour revivre, c’est changer d’identité. Comme lors d’une initiation chamanique, en réchappant à plusieurs jours en nature et en regagnant le monde des hommes, le survivant célèbre une renaissance, opère une transformation. Survivre, c’est naître une seconde fois. »
Chemins de traverse (p. 15-17)
Construire un feu (p. 62-64)
Extrait court
« L’expérience de la survie ne se réduit pas à un temps pédagogique, relaxant ou ludique ; c’est une forme d’initiation. Le terme paraît fort, mais j’ai été témoin d’étonnantes métamorphoses au côté de dizaines de voyageurs, aventuriers ou compagnons d’infortune? Il faut reconnaître que notre époque a banni les anciens rites de passage. Même les déplacements à l’étranger, qui sont devenus des circuits aménagés et organisés, ont perdu la capacité de nous plonger dans l’inconnu et de nous soumettre à des épreuves. Disons-le simplement : ils ont cessé d’être initiatiques. Dès lors, les individus cherchent de nouveaux repères, s’attristent de l’absence de modèles éducatifs, regrettent les événements collectifs qui participaient de la symbolisation du monde et le rendaient familier. L’engouement pour la marche et notamment les pèlerinages s’explique : on brise la routine, s’expose à des épreuves physiques et morales, gagne en liberté, peut se métamorphoser loin du regard des proches, avoir du temps pour soi et, au retour, on est reconnu comme différent, transformé.
Les formations de survie attirent ainsi des personnes en quête de sens qui souhaitent jalonner leur existence d’une épreuve marquante. Des organisateurs malins choisissent même de s’adapter à ce nouveau public en proposant des stages “spécial enterrement de vie de célibataire”. Ce n’est pas un effet de mode mais un symptôme révélateur de l’absence de profondeur de nos existences. La société ne reconnaissant plus ses individus, certains aspirent à être remarqués. À défaut d’indicateurs admis collectivement, ils réinventent les modalités de reconnaissance de leur transformation intérieure. Je vois ainsi prendre part à mes stages des pères avec leur fils pour vivre un moment “à la dure” à l’occasion de la majorité du fiston. On voit d’ailleurs croître l’âge des volontaires, désireux de faire le point à un tournant dans leur vie. Survivre, c’est découvrir qui on est et de quoi on est capable en cherchant au fond de soi-même?
Le stage de survie est perçu comme une épreuve physique et morale, sensée, positive, comprenant néanmoins un certain niveau d’exposition à la douleur – par l’absence de confort et par la confrontation aux éléments dans un dénuement teinté de pureté. Ainsi il devient un rite de passage, avec son étape préliminaire : on se prépare, on s’équipe, on l’explique à ses amis étonnés? Arrive ensuite la séparation : on franchit un seuil, on se relègue en marge de la société, à l’extérieur de la cité, sans protection, exposé au vent et à la pluie, au froid ou au soleil, sans parasol ni crème solaire ! Puis vient le temps de la mutation vers un état nouveau : on en ressort “survivant” – certes parfois en arborant un t-shirt frappé d’un emblème et en diffusant sa photo sur les réseaux sociaux? Et on gagne cette reconnaissance que la société nous refusait.
Pourquoi cela plutôt qu’une simple randonnée d’une semaine en montagne ou sur le chemin de Compostelle ? Parce que le concept de survie inclut une forme de dépassement de soi, de souffrance. Or, initiation et souffrance ont toujours fait bon ménage. Et pour cause, avoir le sentiment de mourir pour revivre, c’est changer d’identité. Comme lors d’une initiation chamanique, en réchappant à plusieurs jours en nature et en regagnant le monde des hommes, le survivant célèbre une renaissance, opère une transformation. Survivre, c’est naître une seconde fois. »
(p. 75-77)
Chemins de traverse (p. 15-17)
Construire un feu (p. 62-64)
Extrait court