
La quête du silence :
« Silence. Si je le nomme, il n’est déjà plus. Si je l’écris, le stylo crisse sur le papier, ou les doigts tapotent sur le clavier. Si je me tais, j’ai l’impression qu’il est là, mais l’illusion s’estompe vite : un avion passe, le téléphone sonne? Pourtant, je sais que je peux le trouver au fond des bois ou au sommet d’une montagne, dans une bibliothèque ou entre les pages d’un livre, dans un regard ou un geste attentionné. Il est l’arrière-fond de nos retrouvailles avec nous-mêmes et avec la nature, le pentagramme sur lequel nous écrivons notre cadence, l’écho des paroles que nous avons prononcées ou tues. Du microcosme qui nous compose à la voûte céleste qui nous couronne, le silence est plus fort que la parole ; il est la part d’éternel qui côtoie le murmure de la vie.
J’aime le silence. J’ai grandi dans un petit village de deux cents habitants niché contre les collines, au pied des Alpes juliennes. Pour étouffer les nuisances qui encombraient mon cœur d’enfant, j’ai tôt appris à fuir le bruit des machines et des hommes et à m’ouvrir au chant du monde. Les cloches, les hirondelles, les feuilles de peuplier et le murmure du ruisseau étaient les protagonistes élus de mon paysage sonore. Adulte, j’ai migré par amour de la vie et des lettres. En quête d’un lieu qui fût en accord avec mon enfance et propice à la concentration intellectuelle, je vis perchée au quatrième étage d’un immeuble ancien, face aux pigeons et aux moineaux qui fréquentent les toits et le ciel de Toulouse, une volière au-dessus de la circulation citadine. Mais quelle déception : le vacarme des klaxons, des pots d’échappement et des moteurs couvre leur chant. Je ne peux l’entendre que le dimanche matin, lorsque la horde motorisée se repose de son tapage nocturne. J’ai alors l’impression que la ville se tait et que le silence l’enveloppe, comme il enveloppait la campagne de mon enfance. Nostalgie du silence. Mais de quel silence ? Ma quête reste inachevée, comme le serait celle d’un Graal inaccessible, si j’aspire à enregistrer l’absence totale de vibrations, car même si le petit oiseau s’envole, ma respiration et mon cœur – sinon les mouvements de mes voisins et le timbre des objets que nous utilisons – me font comprendre que le silence n’existe pas à l’échelle humaine. Notre vie est rythmée, de jour comme de nuit, par des vibrations sonores agréables et apaisantes ou désagréables et dérangeantes. Le silence auquel j’aspire n’est donc pas un silence absolu, sorte d’abstraction née de notre conscience humaine, qui cherche à faire taire les bruits qui envahissent nos vies et les nuisances qui encombrent notre pensée la plus subtile. Le silence que j’aime n’est pas l’absence de bruits, c’est une disposition de l’esprit à entendre le bruissement du monde et les mouvements de mon monde intérieur. »
Le cri du silence (p. 31-34)
Le pouvoir de l’écrit (p. 57-61)
Extrait court
« Silence. Si je le nomme, il n’est déjà plus. Si je l’écris, le stylo crisse sur le papier, ou les doigts tapotent sur le clavier. Si je me tais, j’ai l’impression qu’il est là, mais l’illusion s’estompe vite : un avion passe, le téléphone sonne? Pourtant, je sais que je peux le trouver au fond des bois ou au sommet d’une montagne, dans une bibliothèque ou entre les pages d’un livre, dans un regard ou un geste attentionné. Il est l’arrière-fond de nos retrouvailles avec nous-mêmes et avec la nature, le pentagramme sur lequel nous écrivons notre cadence, l’écho des paroles que nous avons prononcées ou tues. Du microcosme qui nous compose à la voûte céleste qui nous couronne, le silence est plus fort que la parole ; il est la part d’éternel qui côtoie le murmure de la vie.
J’aime le silence. J’ai grandi dans un petit village de deux cents habitants niché contre les collines, au pied des Alpes juliennes. Pour étouffer les nuisances qui encombraient mon cœur d’enfant, j’ai tôt appris à fuir le bruit des machines et des hommes et à m’ouvrir au chant du monde. Les cloches, les hirondelles, les feuilles de peuplier et le murmure du ruisseau étaient les protagonistes élus de mon paysage sonore. Adulte, j’ai migré par amour de la vie et des lettres. En quête d’un lieu qui fût en accord avec mon enfance et propice à la concentration intellectuelle, je vis perchée au quatrième étage d’un immeuble ancien, face aux pigeons et aux moineaux qui fréquentent les toits et le ciel de Toulouse, une volière au-dessus de la circulation citadine. Mais quelle déception : le vacarme des klaxons, des pots d’échappement et des moteurs couvre leur chant. Je ne peux l’entendre que le dimanche matin, lorsque la horde motorisée se repose de son tapage nocturne. J’ai alors l’impression que la ville se tait et que le silence l’enveloppe, comme il enveloppait la campagne de mon enfance. Nostalgie du silence. Mais de quel silence ? Ma quête reste inachevée, comme le serait celle d’un Graal inaccessible, si j’aspire à enregistrer l’absence totale de vibrations, car même si le petit oiseau s’envole, ma respiration et mon cœur – sinon les mouvements de mes voisins et le timbre des objets que nous utilisons – me font comprendre que le silence n’existe pas à l’échelle humaine. Notre vie est rythmée, de jour comme de nuit, par des vibrations sonores agréables et apaisantes ou désagréables et dérangeantes. Le silence auquel j’aspire n’est donc pas un silence absolu, sorte d’abstraction née de notre conscience humaine, qui cherche à faire taire les bruits qui envahissent nos vies et les nuisances qui encombrent notre pensée la plus subtile. Le silence que j’aime n’est pas l’absence de bruits, c’est une disposition de l’esprit à entendre le bruissement du monde et les mouvements de mon monde intérieur. »
(p. 11-13)
Le cri du silence (p. 31-34)
Le pouvoir de l’écrit (p. 57-61)
Extrait court