Vivre à l’étranger :
« Cet autre si convoité, chacun de nous aspire à en faire un jour son voisin. Je voudrais prononcer ici un petit éloge de la sédentarité à l’étranger. Et si, non contents d’aller scruter des emblèmes archéologiques mondialement connus, des pèlerinages offerts en pâture à des milliers de fidèles ou de touristes, le monde ne nous apparaissait pas plus familier en allant côtoyer le langage des petits gestes ? Il s’agit là d’une expérience de la banalité loin de chez soi. La vie quotidienne offre un inépuisable vivier d’apprentissage. Tout commence par un foyer qu’il faut réinventer au bout du monde. Un lieu à habiter. On affronte alors des bailleurs de Bombay, de Téhéran ou du Caire pour acquérir ou louer son logement. On achète des meubles et on garnit sa maison dans les magasins de la classe moyenne d’un quartier de Saint-Pétersbourg ou de Johannesburg. En quelques jours, plus sûrement qu’en plusieurs semaines de vagabondage, on pénètre dans l’intimité du pays d’accueil. À chaque visite d’un locataire sur le départ, on s’immisce dans un univers privé, ordinairement fermé à nos yeux d’étrangers. D’intrus, on devient partenaires. Pédagogie du mimétisme : pour habiter notre nouvelle maison dans ce territoire exotique, il nous faut répéter des gestes si fréquents chez nous qu’ils n’engageraient à aucune réflexion consciente. Pour équiper d’objets son salon, sa cuisine ou sa chambre, il faut comparer, trier, argumenter. On esquisse un dialogue avec soi : ce qu’il nous faut reformuler, ce qui nous est indispensable et ce qui relève de l’adaptation nécessaire.
Vient ensuite le temps des rituels, lorsque ce qui apparaissait inconnu devient une simple habitude dans le territoire que nous habitons désormais. Au Caire, on se rend chaque jour dans le café de sa ruelle, dans le quartier de Garden City, au cœur de la ville, pour y fumer sa chicha et boire son jus de mangue. À Tôkyô, on lit chaque matin son journal tout en conversant avec ses collègues de bureau. À Nicosie, on fait l’apprentissage de la conduite à gauche. À Bamako, ce sont les courses de fruits et légumes exotiques dans le marché en bas de chez soi. Partout, les habitués se reconnaissent dans la librairie de quartier, chez le coiffeur ou le tailleur, tout en faisant la découverte de la bureaucratie locale. Chaque pas ouvre de nouvelles portes, comme autant de clés de compréhension du monde que l’on s’est choisi. Cette forme de départ délaisse l’exception ou l’extraordinaire pour s’intéresser aux choses simples de la vie. »
Le chant du départ (p. 32-34)
La fin de l’exotisme (p. 55-56)
Extrait court
« Cet autre si convoité, chacun de nous aspire à en faire un jour son voisin. Je voudrais prononcer ici un petit éloge de la sédentarité à l’étranger. Et si, non contents d’aller scruter des emblèmes archéologiques mondialement connus, des pèlerinages offerts en pâture à des milliers de fidèles ou de touristes, le monde ne nous apparaissait pas plus familier en allant côtoyer le langage des petits gestes ? Il s’agit là d’une expérience de la banalité loin de chez soi. La vie quotidienne offre un inépuisable vivier d’apprentissage. Tout commence par un foyer qu’il faut réinventer au bout du monde. Un lieu à habiter. On affronte alors des bailleurs de Bombay, de Téhéran ou du Caire pour acquérir ou louer son logement. On achète des meubles et on garnit sa maison dans les magasins de la classe moyenne d’un quartier de Saint-Pétersbourg ou de Johannesburg. En quelques jours, plus sûrement qu’en plusieurs semaines de vagabondage, on pénètre dans l’intimité du pays d’accueil. À chaque visite d’un locataire sur le départ, on s’immisce dans un univers privé, ordinairement fermé à nos yeux d’étrangers. D’intrus, on devient partenaires. Pédagogie du mimétisme : pour habiter notre nouvelle maison dans ce territoire exotique, il nous faut répéter des gestes si fréquents chez nous qu’ils n’engageraient à aucune réflexion consciente. Pour équiper d’objets son salon, sa cuisine ou sa chambre, il faut comparer, trier, argumenter. On esquisse un dialogue avec soi : ce qu’il nous faut reformuler, ce qui nous est indispensable et ce qui relève de l’adaptation nécessaire.
Vient ensuite le temps des rituels, lorsque ce qui apparaissait inconnu devient une simple habitude dans le territoire que nous habitons désormais. Au Caire, on se rend chaque jour dans le café de sa ruelle, dans le quartier de Garden City, au cœur de la ville, pour y fumer sa chicha et boire son jus de mangue. À Tôkyô, on lit chaque matin son journal tout en conversant avec ses collègues de bureau. À Nicosie, on fait l’apprentissage de la conduite à gauche. À Bamako, ce sont les courses de fruits et légumes exotiques dans le marché en bas de chez soi. Partout, les habitués se reconnaissent dans la librairie de quartier, chez le coiffeur ou le tailleur, tout en faisant la découverte de la bureaucratie locale. Chaque pas ouvre de nouvelles portes, comme autant de clés de compréhension du monde que l’on s’est choisi. Cette forme de départ délaisse l’exception ou l’extraordinaire pour s’intéresser aux choses simples de la vie. »
(p. 62-66)
Le chant du départ (p. 32-34)
La fin de l’exotisme (p. 55-56)
Extrait court