La liberté du libériste :
« Naviguant d’un bulletin météorologique à l’autre, parfois des heures durant en vue d’optimiser le choix du lieu et de la date de son prochain vol, le pilote mesure peu à peu la dimension absorbante de sa passion.
Il doit aussi composer avec l’inévitable insatisfaction qui ne manque pas de se présenter lorsque, malgré l’analyse de prévisions prometteuses, le vol doit finalement être reporté ou écourté. De retour chez lui, de nouveau rivé à l’écran, il tente de noyer sa frustration dans l’étude des conditions des jours à venir. Il s’engage alors petit à petit dans ce que les psychologues anglo-saxons nomment FOMO : Fear of missing out, littéralement “la peur de manquer quelque chose”, de regretter d’avoir pris la mauvaise décision sur la gestion de son temps, potentiellement doublée de la crainte que d’autres y soient mieux parvenus et aient eu davantage d’expériences gratifiantes.
Dans nos vies d’Occidentaux modernes et pressés, le FOMO nous engage dans une course effrénée à la poursuite d’un concurrent que l’on ne rattrape jamais : le temps. Chaque jour, tandis qu’il s’écoule inéluctablement, on s’évertue à trop le remplir sans se remplir de ce qu’il a à nous offrir : l’instant présent. Le vol libre ne fait pas exception. Sitôt l’instant présent englouti, le pilote s’empresse de prévoir comment remplir le suivant de façon optimale. À ses dépens et à ceux de ses proches, il se confronte ainsi à un assujettissement multiple : d’une part aux conditions météorologiques et au bon vouloir de la nature, d’autre part à l’évaluation qu’il fait de lui-même et à la comparaison avec les autres à laquelle il se soumet sévèrement. La talentueuse grimpeuse Stéphanie Bodet illustre élégamment un aspect de cette aliénation lorsqu’elle évoque, dans À la verticale de soi, “la tyrannie du beau temps” qui la pousse à souhaiter qu’il fasse mauvais pour pouvoir, enfin, faire autre chose que de l’escalade, et se reposer aussi bien physiquement que mentalement.
La passion quand elle devient monomaniaque et la course à la réalisation font parfois pencher la balance du côté pesant du devoir plutôt que de celui, léger et libérateur, de l’envie. Alors, il est bon de s’interroger sur l’importance que le loisir devenu dévorant prend dans sa vie. C’est ce que fait courageusement le parapentiste Édouard Bara en expliquant, dans un article publié dans Vol Passion, pourquoi il a décidé de vendre son aile de compétition?
Ainsi, le FOMO fait appel à la notion de compromis. Vivre, c’est choisir, et choisir, de fait, c’est renoncer. Plus que le cycliste ou le joueur de tennis, nous autres libéristes n’avons d’autre option que d’apprendre à renoncer, et à jongler avec ce subtil équilibre entre gain et perte, succès et échec, renoncement et acceptation. Voler enseigne aussi cela. Accepter de “perdre”, et surtout comprendre que perdre une chose ne va pas sans en gagner une autre. Alors, Homo volatilis apprend à perdre afin de mieux choisir ce qu’il gagnera, se libérant un peu plus du joug de l’ego. Si s’en affranchir complètement ressemble à une quête qu’il faudrait, tel le Bouddha, mener sur plusieurs vies, il faut se confronter à ce qui l’entrave pour s’en libérer. »
Sans frontières (p. 40-42)
Offrir l’envol (p. 72-74)
Extrait court
« Naviguant d’un bulletin météorologique à l’autre, parfois des heures durant en vue d’optimiser le choix du lieu et de la date de son prochain vol, le pilote mesure peu à peu la dimension absorbante de sa passion.
Il doit aussi composer avec l’inévitable insatisfaction qui ne manque pas de se présenter lorsque, malgré l’analyse de prévisions prometteuses, le vol doit finalement être reporté ou écourté. De retour chez lui, de nouveau rivé à l’écran, il tente de noyer sa frustration dans l’étude des conditions des jours à venir. Il s’engage alors petit à petit dans ce que les psychologues anglo-saxons nomment FOMO : Fear of missing out, littéralement “la peur de manquer quelque chose”, de regretter d’avoir pris la mauvaise décision sur la gestion de son temps, potentiellement doublée de la crainte que d’autres y soient mieux parvenus et aient eu davantage d’expériences gratifiantes.
Dans nos vies d’Occidentaux modernes et pressés, le FOMO nous engage dans une course effrénée à la poursuite d’un concurrent que l’on ne rattrape jamais : le temps. Chaque jour, tandis qu’il s’écoule inéluctablement, on s’évertue à trop le remplir sans se remplir de ce qu’il a à nous offrir : l’instant présent. Le vol libre ne fait pas exception. Sitôt l’instant présent englouti, le pilote s’empresse de prévoir comment remplir le suivant de façon optimale. À ses dépens et à ceux de ses proches, il se confronte ainsi à un assujettissement multiple : d’une part aux conditions météorologiques et au bon vouloir de la nature, d’autre part à l’évaluation qu’il fait de lui-même et à la comparaison avec les autres à laquelle il se soumet sévèrement. La talentueuse grimpeuse Stéphanie Bodet illustre élégamment un aspect de cette aliénation lorsqu’elle évoque, dans À la verticale de soi, “la tyrannie du beau temps” qui la pousse à souhaiter qu’il fasse mauvais pour pouvoir, enfin, faire autre chose que de l’escalade, et se reposer aussi bien physiquement que mentalement.
La passion quand elle devient monomaniaque et la course à la réalisation font parfois pencher la balance du côté pesant du devoir plutôt que de celui, léger et libérateur, de l’envie. Alors, il est bon de s’interroger sur l’importance que le loisir devenu dévorant prend dans sa vie. C’est ce que fait courageusement le parapentiste Édouard Bara en expliquant, dans un article publié dans Vol Passion, pourquoi il a décidé de vendre son aile de compétition?
Ainsi, le FOMO fait appel à la notion de compromis. Vivre, c’est choisir, et choisir, de fait, c’est renoncer. Plus que le cycliste ou le joueur de tennis, nous autres libéristes n’avons d’autre option que d’apprendre à renoncer, et à jongler avec ce subtil équilibre entre gain et perte, succès et échec, renoncement et acceptation. Voler enseigne aussi cela. Accepter de “perdre”, et surtout comprendre que perdre une chose ne va pas sans en gagner une autre. Alors, Homo volatilis apprend à perdre afin de mieux choisir ce qu’il gagnera, se libérant un peu plus du joug de l’ego. Si s’en affranchir complètement ressemble à une quête qu’il faudrait, tel le Bouddha, mener sur plusieurs vies, il faut se confronter à ce qui l’entrave pour s’en libérer. »
(p. 50-53)
Sans frontières (p. 40-42)
Offrir l’envol (p. 72-74)
Extrait court