Portrait du lyricomane :
« L’amateur d’opéra cultive le fantasme de l’exhaustivité : parce que, contrairement au répertoire de la musique instrumentale ou vocale – sans parler de la littérature et des beaux-arts –, le genre compte somme toute un nombre d’œuvres limité, si l’on excepte celles que le baroque italien produisit à la chaîne, et qu’il constitue parfois un hapax dans l’œuvre de compositeurs par ailleurs prolifiques – ainsi de Beethoven, Schumann, Bartók, Dukas ou Ligeti –, il est loisible de s’imaginer que l’on pourrait, dans l’espace d’une vie humaine, écouter sinon voir l’ensemble de la production lyrique mondiale depuis ses origines jusqu’à nos jours, et faire ainsi le tour du “Kobbé”, cette bible sans cesse rééditée depuis la mort improbable de son auteur, qui reçut un hydravion sur la tête alors qu’il naviguait paisiblement au large de Long Island.
Le lyricomane prend les allures d’un collectionneur, que ravit l’inscription au programme dans sa ville de tel opéra de Smetana qui lui était inconnu ou de Fra Diavolo qu’il n’a jamais vu, qui se réjouit qu’un même mois providentiel lui offre l’occasion d’assister à la première version scénique française des Fées de Wagner et à une représentation confidentielle de Riders to the Sea de Ralph Vaughan Williams, qui repère sur les scènes européennes, voire mondiales, les spécimens qui manquent encore à son tableau de chasse, et se transforme en oiseau migrateur à la saison des festivals. Certains opéramaniaques sont exclusivement férus du genre : ils n’écoutent pas d’autre musique, connaissent par cœur tous les opéras de Mozart mais dédaignent ses quatuors, ne jurent que par les tragédies lyriques de Lully sans connaître ses menuets, et courent aussi bien à un drame de Verdi qu’à une obscure opérette de Franz Lehár. Nulle hiérarchie dans leurs amours, mais une marotte de collectionneur, où la rareté, fût-elle médiocre, est recherchée avec autant de zèle que le chef-d’œuvre, et la comédie-ballet aussi prisée que la pièce dodécaphonique. »
Le goût du merveilleux (p. 16-19)
Un lieu symbolique (p. 24-27)
Parmi le public (p. 50-53)
« L’amateur d’opéra cultive le fantasme de l’exhaustivité : parce que, contrairement au répertoire de la musique instrumentale ou vocale – sans parler de la littérature et des beaux-arts –, le genre compte somme toute un nombre d’œuvres limité, si l’on excepte celles que le baroque italien produisit à la chaîne, et qu’il constitue parfois un hapax dans l’œuvre de compositeurs par ailleurs prolifiques – ainsi de Beethoven, Schumann, Bartók, Dukas ou Ligeti –, il est loisible de s’imaginer que l’on pourrait, dans l’espace d’une vie humaine, écouter sinon voir l’ensemble de la production lyrique mondiale depuis ses origines jusqu’à nos jours, et faire ainsi le tour du “Kobbé”, cette bible sans cesse rééditée depuis la mort improbable de son auteur, qui reçut un hydravion sur la tête alors qu’il naviguait paisiblement au large de Long Island.
Le lyricomane prend les allures d’un collectionneur, que ravit l’inscription au programme dans sa ville de tel opéra de Smetana qui lui était inconnu ou de Fra Diavolo qu’il n’a jamais vu, qui se réjouit qu’un même mois providentiel lui offre l’occasion d’assister à la première version scénique française des Fées de Wagner et à une représentation confidentielle de Riders to the Sea de Ralph Vaughan Williams, qui repère sur les scènes européennes, voire mondiales, les spécimens qui manquent encore à son tableau de chasse, et se transforme en oiseau migrateur à la saison des festivals. Certains opéramaniaques sont exclusivement férus du genre : ils n’écoutent pas d’autre musique, connaissent par cœur tous les opéras de Mozart mais dédaignent ses quatuors, ne jurent que par les tragédies lyriques de Lully sans connaître ses menuets, et courent aussi bien à un drame de Verdi qu’à une obscure opérette de Franz Lehár. Nulle hiérarchie dans leurs amours, mais une marotte de collectionneur, où la rareté, fût-elle médiocre, est recherchée avec autant de zèle que le chef-d’œuvre, et la comédie-ballet aussi prisée que la pièce dodécaphonique. »
(p. 60-61)
Le goût du merveilleux (p. 16-19)
Un lieu symbolique (p. 24-27)
Parmi le public (p. 50-53)