
Conquête spatiale :
« Le statut de l’espace change : il n’est plus un objet de curiosité et d’imagination ; il devient ou redevient un moyen ou une condition. L’astronaute n’est plus un explorateur, mais un colon.
Cette évolution, ce renversement, n’a rien de surprenant : depuis les origines de l’astronautique, ses inspirateurs, ses promoteurs, ses défenseurs présentent l’espace comme le domaine indispensable à l’expansion et à la survie de l’humanité. Souvenons-nous du mot de Tsiolkovski, répété comme un mantra, sur l’inévitable sortie du berceau terrestre. L’exploration n’est donc qu’un prélude, un préalable, désormais inutile si nous considérons les projets comme ceux de Mars One ou de SpaceX : à la figure de Christophe Colomb est préférée celle des Pilgrim Fathers, les pères fondateurs du Nouveau Monde.
Je ne suis pas en train d’affirmer que cette évolution aura effectivement lieu. Je reste au contraire très sceptique sur la faisabilité, aussi bien technique que psychologique et éthique, des projets transhumanistes, du moins avec un succès et une ampleur qui à la fois contraignent et permettent l’exil d’humains hors de leur “arche-originaire”. Mais je n’ignore pas le slogan d’Amazing Stories, cette revue de science-fiction née dans les années 1920 : “Extravagant fiction today, cold fact tomorrow”. Autrement dit : “Fiction extravagante aujourd’hui, réalité banale demain”. Alors je resterai prudent ; je me contenterai de repousser dans un futur assez lointain l’éventuelle réalisation des espoirs et des promesses transhumanistes. Pour autant, et c’est pour cette raison que je m’y suis intéressé, nous pouvons d’ores et déjà constater une influence de cette possible évolution sur notre manière d’appréhender l’espace et les astronautes. Je l’ai illustrée avec l’analyse mythologique de l’astronaute, à la manière de Roland Barthes ; il me semble qu’elle est aussi présente dans l’affaiblissement de la figure de l’explorateur dont souffre le statut de l’astronaute, sans qu’il perde celui de héros.
Dans le même temps, les entreprises du New Space développent des projets, et surtout un discours, qui n’appartiennent pas davantage au champ de l’exploration mais bien à celui de l’exploitation et de la colonisation. Elles s’en défendent parfois et refusent d’utiliser de telles expressions, préférant expliquer qu’elles cherchent à découvrir de nouvelles ressources, de nouveaux territoires et, ainsi, veulent contribuer à sauver (!) l’humanité. Et pourtant, il s’agit bien d’envisager l’exploitation minière des astéroïdes et l’installation de colonies sur Mars. Quoi qu’il en soit, il n’est pas question d’explorer l’espace “parce qu’il est là”, selon la romantique expression de George Mallory mais de l’exploiter parce qu’il constitue une ressource. Et l’astronaute est le pionnier de cette nouvelle ruée. À moins qu’il ne s’agisse de son ouvrier, son opérateur. »
Perspective plongeante (p. 35-37)
La danse de l’astronaute (p. 54-56)
Extrait court
« Le statut de l’espace change : il n’est plus un objet de curiosité et d’imagination ; il devient ou redevient un moyen ou une condition. L’astronaute n’est plus un explorateur, mais un colon.
Cette évolution, ce renversement, n’a rien de surprenant : depuis les origines de l’astronautique, ses inspirateurs, ses promoteurs, ses défenseurs présentent l’espace comme le domaine indispensable à l’expansion et à la survie de l’humanité. Souvenons-nous du mot de Tsiolkovski, répété comme un mantra, sur l’inévitable sortie du berceau terrestre. L’exploration n’est donc qu’un prélude, un préalable, désormais inutile si nous considérons les projets comme ceux de Mars One ou de SpaceX : à la figure de Christophe Colomb est préférée celle des Pilgrim Fathers, les pères fondateurs du Nouveau Monde.
Je ne suis pas en train d’affirmer que cette évolution aura effectivement lieu. Je reste au contraire très sceptique sur la faisabilité, aussi bien technique que psychologique et éthique, des projets transhumanistes, du moins avec un succès et une ampleur qui à la fois contraignent et permettent l’exil d’humains hors de leur “arche-originaire”. Mais je n’ignore pas le slogan d’Amazing Stories, cette revue de science-fiction née dans les années 1920 : “Extravagant fiction today, cold fact tomorrow”. Autrement dit : “Fiction extravagante aujourd’hui, réalité banale demain”. Alors je resterai prudent ; je me contenterai de repousser dans un futur assez lointain l’éventuelle réalisation des espoirs et des promesses transhumanistes. Pour autant, et c’est pour cette raison que je m’y suis intéressé, nous pouvons d’ores et déjà constater une influence de cette possible évolution sur notre manière d’appréhender l’espace et les astronautes. Je l’ai illustrée avec l’analyse mythologique de l’astronaute, à la manière de Roland Barthes ; il me semble qu’elle est aussi présente dans l’affaiblissement de la figure de l’explorateur dont souffre le statut de l’astronaute, sans qu’il perde celui de héros.
Dans le même temps, les entreprises du New Space développent des projets, et surtout un discours, qui n’appartiennent pas davantage au champ de l’exploration mais bien à celui de l’exploitation et de la colonisation. Elles s’en défendent parfois et refusent d’utiliser de telles expressions, préférant expliquer qu’elles cherchent à découvrir de nouvelles ressources, de nouveaux territoires et, ainsi, veulent contribuer à sauver (!) l’humanité. Et pourtant, il s’agit bien d’envisager l’exploitation minière des astéroïdes et l’installation de colonies sur Mars. Quoi qu’il en soit, il n’est pas question d’explorer l’espace “parce qu’il est là”, selon la romantique expression de George Mallory mais de l’exploiter parce qu’il constitue une ressource. Et l’astronaute est le pionnier de cette nouvelle ruée. À moins qu’il ne s’agisse de son ouvrier, son opérateur. »
(p. 81-83)
Perspective plongeante (p. 35-37)
La danse de l’astronaute (p. 54-56)
Extrait court