Le meilleur grimpeur du monde :
« Tant que je dispose de toutes mes capacités physiques, j’aime aussi l’idée que dans le mode de vie lié à l’escalade, il est possible de trouver un équilibre résultant de l’alliance entre un hédonisme et, à l’opposé, une certaine exigence envers soi-même. C’est l’adhésion à une discipline qui fait de l’escalade quelque chose de plus intense qu’une activité de loisir et de détente, et permet de retirer une fierté légitime de ses réalisations. Même à un niveau modeste, il faut s’exercer avec régularité pour espérer progresser ou simplement maintenir son niveau : après quelques semaines d’arrêt, la force dans les avant-bras diminue beaucoup ; au bout de quelques mois la peur du vide peut revenir, la gestuelle se fait moins naturelle et fluide. À un niveau de pratique plus soutenu, quand l’escalade devient l’axe principal d’un épanouissement personnel, la vie du grimpeur est transcendée par une quête perpétuelle d’absolu : le geste parfait, la puissance maximale, pour espérer être à la hauteur de la plus belle des voies. Quand elle est fondée sur une recherche esthétique jubilatoire et exigeante, la grimpe devient un art de vivre.
Le soleil vient de se coucher, je suis le dernier à descendre de la falaise située au sommet d’une montagne isolée qui ressemble à une île. Tout autour de moi en contrebas, des vagues de collines mauves semblent avancer vers l’horizon où elles se fondent dans le ciel immense qui bientôt englobera tout. Soudain, dernier témoin de l’astre solaire disparu, un large banc de cirrus s’illumine au-dessus de moi. Instinctivement, je me retourne et découvre un spectacle étrange. Les nuages éclairent la falaise d’une lumière chaude qui semble irréelle. Pendant quelques secondes hors du temps, à l’endroit où aucune voie n’a été ouverte car la paroi est déversante et complètement lisse, un homme au corps musclé et aux longs cheveux blancs s’élève rapidement. Son corps est taillé dans la même matière que la falaise, une roche rendue vivante par cette lumière féerique. Il ne grimpe pas en bougeant ses membres, il avance comme une ondulation du rocher dans un mouvement continu et irrésistible. Je le reconnais : c’est le meilleur grimpeur du monde, éponyme de la nouvelle de Bernard Amy. Après une vie entière consacrée à la recherche de la maîtrise de son corps et de l’osmose avec la nature, il a atteint le degré de perfection dont rêvent tous les grimpeurs. Mais il s’exerce toujours. Il consacrera encore de nombreuses années à peaufiner son art. Un jour, il atteindra le stade ultime de son évolution. Sa canne à la main, assis dans un fauteuil face à une aiguille de roc, il n’aura plus besoin de grimper pour ressentir à jamais la grâce de l’escalade. »
L’escalade, pour elle-même (p. 11-13)
L’infinie variété des roches (p. 30-33)
Extrait court
« Tant que je dispose de toutes mes capacités physiques, j’aime aussi l’idée que dans le mode de vie lié à l’escalade, il est possible de trouver un équilibre résultant de l’alliance entre un hédonisme et, à l’opposé, une certaine exigence envers soi-même. C’est l’adhésion à une discipline qui fait de l’escalade quelque chose de plus intense qu’une activité de loisir et de détente, et permet de retirer une fierté légitime de ses réalisations. Même à un niveau modeste, il faut s’exercer avec régularité pour espérer progresser ou simplement maintenir son niveau : après quelques semaines d’arrêt, la force dans les avant-bras diminue beaucoup ; au bout de quelques mois la peur du vide peut revenir, la gestuelle se fait moins naturelle et fluide. À un niveau de pratique plus soutenu, quand l’escalade devient l’axe principal d’un épanouissement personnel, la vie du grimpeur est transcendée par une quête perpétuelle d’absolu : le geste parfait, la puissance maximale, pour espérer être à la hauteur de la plus belle des voies. Quand elle est fondée sur une recherche esthétique jubilatoire et exigeante, la grimpe devient un art de vivre.
Le soleil vient de se coucher, je suis le dernier à descendre de la falaise située au sommet d’une montagne isolée qui ressemble à une île. Tout autour de moi en contrebas, des vagues de collines mauves semblent avancer vers l’horizon où elles se fondent dans le ciel immense qui bientôt englobera tout. Soudain, dernier témoin de l’astre solaire disparu, un large banc de cirrus s’illumine au-dessus de moi. Instinctivement, je me retourne et découvre un spectacle étrange. Les nuages éclairent la falaise d’une lumière chaude qui semble irréelle. Pendant quelques secondes hors du temps, à l’endroit où aucune voie n’a été ouverte car la paroi est déversante et complètement lisse, un homme au corps musclé et aux longs cheveux blancs s’élève rapidement. Son corps est taillé dans la même matière que la falaise, une roche rendue vivante par cette lumière féerique. Il ne grimpe pas en bougeant ses membres, il avance comme une ondulation du rocher dans un mouvement continu et irrésistible. Je le reconnais : c’est le meilleur grimpeur du monde, éponyme de la nouvelle de Bernard Amy. Après une vie entière consacrée à la recherche de la maîtrise de son corps et de l’osmose avec la nature, il a atteint le degré de perfection dont rêvent tous les grimpeurs. Mais il s’exerce toujours. Il consacrera encore de nombreuses années à peaufiner son art. Un jour, il atteindra le stade ultime de son évolution. Sa canne à la main, assis dans un fauteuil face à une aiguille de roc, il n’aura plus besoin de grimper pour ressentir à jamais la grâce de l’escalade. »
(p. 87-89)
L’escalade, pour elle-même (p. 11-13)
L’infinie variété des roches (p. 30-33)
Extrait court