La main à la paroi :
« Mais l’équipement ne fait pas tout. Il ne peut pas grimper à la place du grimpeur. Comme le remarque le public, étonné, l’escalade est une activité qui se pratique “à mains nues”. Et que l’on porte des gants en alpinisme glaciaire ne change rien à l’affaire. En escalade rocheuse, on met les mains sur la paroi, et ce contact direct participe de l’impression de réalité du monde. L’alpiniste entretient avec le monde un rapport charnel, incarné. Il prend le monde à pleine main, cette main qui tâte et caresse le rocher en même temps qu’elle s’y agrippe. Contact rugueux, certes, mais en même temps plein de volupté. La main en ressort souvent écorchée, égratignée, les ongles salis et cassés. Mais elle développe en retour une sensibilité particulière, faite de force et de savoir, un savoir obtenu par l’exploration microscopique que permet le tâtonnement. Le granit, le gneiss, le calcaire, le grès, le schiste, le poudingue? Le grimpeur connaît et apprécie la diversité des roches en spécialiste. Sa connaissance de la géologie n’est pas scientifique, mais esthétique (au sens de “fondée sur l’appréhension sensible”), c’est-à-dire profonde, intime, et comme telle extraordinairement enrichissante.
Je garde ainsi en moi, comme gravée dans ma chair, la mémoire du calcaire éblouissant des Dolomites centrales. Cette “dolomie” blanche, dure, sculptée par le vent en d’innombrables trous et aspérités. Cette roche admirable qui construit des jaillissements monolithiques de plusieurs centaines de mètres, où l’œil ne voit que verticalité mais où la main trouve des replis pleins de ressources. Je revois, ou plutôt ressens, le contact du Voile de la Vierge, dentelle de pierre qui orne le versant ouest de la cima della Madonna, dans le massif des Pala di San Martino. Et celui du spigolo Giallo, sur la cima Piccola des Tre Cime di Lavaredo. Et la mythique via Tissi, dans la torre Venezia de la Civetta ! Dans mon corps comme dans ma tête est imprimé le souvenir d’instants hors du commun. »
Des sommets sous la lune (p. 11-14)
Bonheur et renoncement (p. 48-52)
Extrait court
« Mais l’équipement ne fait pas tout. Il ne peut pas grimper à la place du grimpeur. Comme le remarque le public, étonné, l’escalade est une activité qui se pratique “à mains nues”. Et que l’on porte des gants en alpinisme glaciaire ne change rien à l’affaire. En escalade rocheuse, on met les mains sur la paroi, et ce contact direct participe de l’impression de réalité du monde. L’alpiniste entretient avec le monde un rapport charnel, incarné. Il prend le monde à pleine main, cette main qui tâte et caresse le rocher en même temps qu’elle s’y agrippe. Contact rugueux, certes, mais en même temps plein de volupté. La main en ressort souvent écorchée, égratignée, les ongles salis et cassés. Mais elle développe en retour une sensibilité particulière, faite de force et de savoir, un savoir obtenu par l’exploration microscopique que permet le tâtonnement. Le granit, le gneiss, le calcaire, le grès, le schiste, le poudingue? Le grimpeur connaît et apprécie la diversité des roches en spécialiste. Sa connaissance de la géologie n’est pas scientifique, mais esthétique (au sens de “fondée sur l’appréhension sensible”), c’est-à-dire profonde, intime, et comme telle extraordinairement enrichissante.
Je garde ainsi en moi, comme gravée dans ma chair, la mémoire du calcaire éblouissant des Dolomites centrales. Cette “dolomie” blanche, dure, sculptée par le vent en d’innombrables trous et aspérités. Cette roche admirable qui construit des jaillissements monolithiques de plusieurs centaines de mètres, où l’œil ne voit que verticalité mais où la main trouve des replis pleins de ressources. Je revois, ou plutôt ressens, le contact du Voile de la Vierge, dentelle de pierre qui orne le versant ouest de la cima della Madonna, dans le massif des Pala di San Martino. Et celui du spigolo Giallo, sur la cima Piccola des Tre Cime di Lavaredo. Et la mythique via Tissi, dans la torre Venezia de la Civetta ! Dans mon corps comme dans ma tête est imprimé le souvenir d’instants hors du commun. »
(p. 55-56)
Des sommets sous la lune (p. 11-14)
Bonheur et renoncement (p. 48-52)
Extrait court