Le dedans, le dehors et le retour à l’essentiel :
« Frêle demeure dans l’ombre des citadelles, emblème d’une forme de vie en osmose avec la nature, la cabane est le reflet d’une posture face au monde, elle est dépositaire d’un certain esprit – ce que l’idée de cabane peut comporter dans sa puissance évocatrice. Pensée pour s’intégrer à l’espace, elle se fond dans la matière qui lui a donné naissance. Soluble dans le paysage, elle ne blesse pas l’œil mais habille la vie et s’approprie l’espace avec respect : c’est une fenêtre ouverte sur le monde qui l’a vu naître. Si elle se délabre, la terre l’avalera et la digérera. Colonisée par la végétation, elle ne laissera aucun déchet au pied des arbres. Sylvestre, écroulée, épuisée par les ans, elle conservera la beauté déchue du bel ouvrage. Lacustre, elle évoquera les carcasses échouées des bateaux aux membrures éventrées, chefs-d’œuvre des cimetières marins. Quoi de plus beau qu’une cabane qui a vécu son temps ? Quel plus noble hommage au cycle naturel du vivre et laisser mourir ?
Au sens contemporain du terme, la cabane est écologique. Mais cette attribution lui vient aussi des tréfonds d’un langage qui s’est modifié à l’épreuve du temps. Étymologiquement, le terme “écologie” nous vient du grec composé d’oikos, le milieu, habitat au sens large (maison, domicile), et de logos, le discours. Il a subi une reconversion. Lier les deux termes revient à penser un espace géographique et sémantique supposant un habitat en symbiose avec le milieu. La cabane s’inscrit parfaitement dans ce cercle logique, elle se situe sur le point où les sens convergent car elle réconcilie le dedans et le dehors. Elle est visitée par les oiseaux, traversée par les aubes et les crépuscules. Son toit réel est la canopée, ses solives sont les ramures? L’extérieur nourrit l’intérieur et finit par s’y confondre. Naturellement ouverte sur la nature, elle invite à envoyer nos existences vers le dehors – sa zone d’élargissement –, à leur faire prendre le frais, à ouvrir nos esprits, à faire tomber les quatre murs qui les privent de perspective. Elle nous rapproche de notre essence, racine de l’essentiel. Ce constat reflète aussi l’intériorité et l’extériorité de l’homme : ce qu’il est intrinsèquement et ce qu’il accepte d’être dans une société en circuit fermé, son visage et son masque, lui et son rapport au monde parfois tronqué. À ce titre, l’écologie relève d’une conduite avant tout spirituelle. Parvenir à trouver sa place au sein de la beauté sauvage à l’état brut et ne rien en bouleverser est un sentiment sans prix.
Ces réflexions me viennent de la cabane où je vis aujourd’hui, en bordure du plus grand lac de l’île de Chiloé, celle qui se lève devant la proue de mon canoë à l’instant où je dépose sur le caillebotis du débarcadère les deux bars de belle taille retirés à ma ligne de fond. Soulevé par une exaltation que je ne me connaissais pas, je me coule peu à peu dans ce lieu, je respire son humus et vis au rythme de ses pulsations. Mes jours ont l’élasticité de l’arbre bercé par le vent. Ma perception du monde extérieur gagne en vitalité. Je suis plus réceptif. Libérée de toute interférence sonore, mon ouïe s’affine au contact du dehors. Je sais désormais distinguer les chants des oiseaux, le cri aigu du râle appelant ses petits égarés dans la jonchaie. Un clapotis à l’heure du crépuscule m’indique la nage du ragondin vers sa litière végétale. La maraude des animaux nocturnes imprime en moi son empreinte. De même, je me suis familiarisé avec les senteurs des arbustes du sous-bois. Ce quadrillage olfactif définit une zone de cueillette à l’heure où mûrissent les baies sauvages. Un rapport d’intelligence sensible agrandit mon intimité avec le voisinage immédiat. À force de l’arpenter, j’appartiens à la forêt. Plus je la fréquente, plus elle se peuple de présences, plus elle s’emplit d’exhalaisons et de vibrations d’abord insoupçonnables. Faune et flore me livrent leurs secrets. Je vis au plus près de la terre. »
Le rôle initiatique de la cabane (p. 23-27)
Dites-moi ce que vous habitez et je vous dirai qui vous êtes ! (p. 61-65)
Extrait court
« Frêle demeure dans l’ombre des citadelles, emblème d’une forme de vie en osmose avec la nature, la cabane est le reflet d’une posture face au monde, elle est dépositaire d’un certain esprit – ce que l’idée de cabane peut comporter dans sa puissance évocatrice. Pensée pour s’intégrer à l’espace, elle se fond dans la matière qui lui a donné naissance. Soluble dans le paysage, elle ne blesse pas l’œil mais habille la vie et s’approprie l’espace avec respect : c’est une fenêtre ouverte sur le monde qui l’a vu naître. Si elle se délabre, la terre l’avalera et la digérera. Colonisée par la végétation, elle ne laissera aucun déchet au pied des arbres. Sylvestre, écroulée, épuisée par les ans, elle conservera la beauté déchue du bel ouvrage. Lacustre, elle évoquera les carcasses échouées des bateaux aux membrures éventrées, chefs-d’œuvre des cimetières marins. Quoi de plus beau qu’une cabane qui a vécu son temps ? Quel plus noble hommage au cycle naturel du vivre et laisser mourir ?
Au sens contemporain du terme, la cabane est écologique. Mais cette attribution lui vient aussi des tréfonds d’un langage qui s’est modifié à l’épreuve du temps. Étymologiquement, le terme “écologie” nous vient du grec composé d’oikos, le milieu, habitat au sens large (maison, domicile), et de logos, le discours. Il a subi une reconversion. Lier les deux termes revient à penser un espace géographique et sémantique supposant un habitat en symbiose avec le milieu. La cabane s’inscrit parfaitement dans ce cercle logique, elle se situe sur le point où les sens convergent car elle réconcilie le dedans et le dehors. Elle est visitée par les oiseaux, traversée par les aubes et les crépuscules. Son toit réel est la canopée, ses solives sont les ramures? L’extérieur nourrit l’intérieur et finit par s’y confondre. Naturellement ouverte sur la nature, elle invite à envoyer nos existences vers le dehors – sa zone d’élargissement –, à leur faire prendre le frais, à ouvrir nos esprits, à faire tomber les quatre murs qui les privent de perspective. Elle nous rapproche de notre essence, racine de l’essentiel. Ce constat reflète aussi l’intériorité et l’extériorité de l’homme : ce qu’il est intrinsèquement et ce qu’il accepte d’être dans une société en circuit fermé, son visage et son masque, lui et son rapport au monde parfois tronqué. À ce titre, l’écologie relève d’une conduite avant tout spirituelle. Parvenir à trouver sa place au sein de la beauté sauvage à l’état brut et ne rien en bouleverser est un sentiment sans prix.
Ces réflexions me viennent de la cabane où je vis aujourd’hui, en bordure du plus grand lac de l’île de Chiloé, celle qui se lève devant la proue de mon canoë à l’instant où je dépose sur le caillebotis du débarcadère les deux bars de belle taille retirés à ma ligne de fond. Soulevé par une exaltation que je ne me connaissais pas, je me coule peu à peu dans ce lieu, je respire son humus et vis au rythme de ses pulsations. Mes jours ont l’élasticité de l’arbre bercé par le vent. Ma perception du monde extérieur gagne en vitalité. Je suis plus réceptif. Libérée de toute interférence sonore, mon ouïe s’affine au contact du dehors. Je sais désormais distinguer les chants des oiseaux, le cri aigu du râle appelant ses petits égarés dans la jonchaie. Un clapotis à l’heure du crépuscule m’indique la nage du ragondin vers sa litière végétale. La maraude des animaux nocturnes imprime en moi son empreinte. De même, je me suis familiarisé avec les senteurs des arbustes du sous-bois. Ce quadrillage olfactif définit une zone de cueillette à l’heure où mûrissent les baies sauvages. Un rapport d’intelligence sensible agrandit mon intimité avec le voisinage immédiat. À force de l’arpenter, j’appartiens à la forêt. Plus je la fréquente, plus elle se peuple de présences, plus elle s’emplit d’exhalaisons et de vibrations d’abord insoupçonnables. Faune et flore me livrent leurs secrets. Je vis au plus près de la terre. »
(p. 29-33)
Le rôle initiatique de la cabane (p. 23-27)
Dites-moi ce que vous habitez et je vous dirai qui vous êtes ! (p. 61-65)
Extrait court