Écriture de l’ailleurs (L’), Petits propos sur la littérature nomade
Albéric d’Hardivilliers
Un livre suscite souvent un désir de départ. Qui n’a eu envie de découvrir Carthage après avoir lu Salammbô ? Quant à la lecture en voyage, elle permet à la fois de s’abstraire de la réalité qu’on aborde et de la mieux observer, la mieux comprendre. L’association que le voyageur tisse entre un pays et un auteur est parfois si forte que sa visite est tout entière perçue à travers le prisme de la relation que tel écrivain-voyageur ou tel romancier en a laissée. Venise avec Proust, Alexandrie avec Durrell, l’Afrique avec Conrad, l’Afghanistan avec Ella Maillart, l’Australie avec Chatwin : voyager en compagnie d’un écrivain permet d’établir une fructueuse comparaison entre le passé et le présent d’un lieu, mais aussi d’en affiner sa propre perception par le reflet de celle d’autrui. C’est aussi l’occasion de découvrir les écrivains du pays dans lequel on séjourne, voix vivantes qui incarnent mieux l’âme d’un peuple que les monuments. L’exercice de l’écriture bénéficie lui aussi du dépaysement. Qu’aurait été Le Petit Prince sans la panne ? à mille milles de toute terre habitée » que connut son auteur ? Écrire en voyage devient une manière d’exorciser à la fois la nostalgie de ses propres racines, du lieu et des amitiés que le voyageur s’apprête à quitter. L’écriture de l’ailleurs permet aussi, en notant impressions, émotions et observations, de conserver une trace de l’élan spontané de la découverte, quitte à transformer le carnet en récit, et partager ainsi l’expérience vécue avec un futur lecteur, qu’un livre lancera à son tour sur les routes?