Collection « Nature nomade »

  • Je m’appelle Koja
  • Le Chemin des plantes
  • Adieu Goulsary
  • Avec les ours
  • Bergère
  • Initiation (L’)
  • Un hiver de coyote
Couverture

Je m’appelle Koja
Berdibek Sokpakbaïev


Quoi de commun entre le Gavroche de Victor Hugo, le Tom Sawyer de Mark Twain et le Holden Caulfield de J. D. Salinger ? Je m’appelle Koja s’inscrit dans une tradition littéraire qui semble ne pas connaître de frontière : la quête de liberté d’un enfant plein de malice. Quant au héros kazakh, il grandit dans un village isolé entre steppes et montagnes. Orphelin de guerre, le garçonnet fait les quatre cents coups, pratique l’école buissonnière, s’initie au braconnage, se chamaille avec ses camarades de classe, tombe amoureux et fugue. La soif d’émancipation de Koja est démesurée, à l’image des plaines de l’Asie centrale que le garçon parcourt à cheval ; rien ne semble pouvoir arrêter ses frasques. Rien, sauf ses talents de poète qu’il dévoile à travers un récit d’aventure dont le vrai héros est peut-être la nature kazakhe.
Véritable livre-évasion, ce court roman initie le lecteur à une civilisation ancestrale en le plongeant dans les rudes heures du Kazakhstan soviétique de l’après-guerre. Écrit en 1956, c’est un récit anticonformiste à l’instar de son héros : le souffle de la liberté, l’espièglerie enfantine et surtout l’ignorance affichée des codes d’écriture socialistes ont empêché l’auteur d’accéder à l’honneur et à la reconnaissance malgré sa notoriété.
Je m’appelle Koja, indubitalement l’œuvre maîtresse de Sokpakbaïev, a fait l’objet, dans les années 1960, d’une adaptation cinématographique remarquée.

Traduit du russe par : Yves Gauthier

Avec une introduction par : Yves Gauthier

« Quoi de commun entre le Gavroche de Victor Hugo, le Tom Sawyer de Mark Twain, le Dargelos de Jean Cocteau, le Holden Caulfield de J. D. Salinger, le Lebrac de Louis Pergaud (La Guerre des boutons), l’Izé-Gani du Nigérien Boubou Hama ? Le côté ? enfant terrible Â» ! Je m’appelle Koja de Berdibek Sokpakbaïev s’inscrit de plain-pied dans cette même tradition littéraire qui semble ne pas connaître de frontière, tout en mythifiant et magnifiant les lieux dont ses héros sont pétris : Paris ici, le Mississippi là, New York dans un troisième cas, la Franche-Comté dans un quatrième, l’Afrique dans un cinquième, et, dans le cas présent, les montagnes et les steppes du Kazakhstan avec le remuant personnage de Koja, enfant terrible d’un aoul sans nom au cœur de l’Asie centrale.
On attribue souvent deux caractéristiques à l’écrivain Sokpakbaïev en l’étiquetant à la fois comme un auteur pour la jeunesse et comme le représentant d’une prose authentiquement kazakhe, émancipée, ceci dans un contexte historique où l’on a vu éclore des littératures issues de peuples jusque-là influencés par une culture russe hégémonique, envahissante et tutélaire, à l’image de la vieille Russie impériale.
Un ? auteur pour la jeunesse Â» ? Oui, mais reconnaissons que ce genre ne s’épanouit qu’en faisant tomber les cloisons entre les âges. Un bon livre pour enfants, aimait à dire le critique russe Korneï Tchoukovski, n’est vraiment bon que s’il renferme aussi un ? sous-texte Â» qui parle à la conscience des adultes, thèse mille fois vérifiée par le passé, qu’il s’agisse des contes de Charles Perrault, du Merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède de Selma Lagerlöf, du Petit Cheval bossu de Piotr Erchov ou du Petit Prince d’Antoine de Saint Exupéry. Je m’appelle Koja appartient précisément à cette famille de récits où l’on sent affleurer le ? sous-texte Â» adulte à chaque page. Mieux : les longues décennies qui nous séparent de cette œuvre semblent l’avoir fait mûrir avec le temps tant il est vrai que la mention ? jeunesse Â» apparaît de moins en moins exclusive. De livre pour adolescents – son public d’origine –, Koja est sorti de sa niche pour offrir à ses lecteurs une échappée dans le temps et l’espace, une initiation à l’ancestrale civilisation kazakhe. Un livre-évasion qui, tout en nous ramenant aux rudes heures du Kazakhstan soviétique de l’après-Seconde Guerre mondiale, nous fait visiter une galerie de caractères, d’images et de paysages. La tentation d’un voyage guettera le lecteur tout au long de ces pages.
De surcroît, la littérature jeunesse possède une autre vertu que Sokpakbaïev fait sienne de bout en bout : elle s’interdit toujours d’ennuyer son public et oblige ses auteurs à régler au plus tendu les ressorts de l’attention dramatique.
Quant à la seconde caractéristique, qui range Sokpak?baïev dans la ligne de la prose kazakhe ? ethnique Â», elle ne vaut que si l’on accorde à cet auteur sa part évidente d’universalité. Citons à ce propos l’écrivaine russe Lioudmila Oulitskaïa préfaçant le roman de la Tatare Gouzel Iakhina Zouleikha ouvre les yeux (2015) : il existe, nous dit-elle, une ? remarquable pléiade Â» d’écrivains biculturels, ressortissants des différents peuples de l’Empire russe, tels que Fazil Iskander (Abkhaze), Youri Rytkhèou (Tchouktche), Anatoli Kim (Kazakh), Oljas Souleïmenov (Kazakh), Tchinguiz Aïtmatov (Kirghize)? ? Cette école a pour tradition de cultiver une profonde connaissance des réalités nationales dans la dignité et le respect des autres peuples, ainsi qu’une manière subtile de traiter la matière folklorique? Â» Assurément, le nom de Berdibek Sokpakbaïev a toute sa place au sein d’une telle pléiade.
Je m’appelle Koja aura connu un destin aussi difficile qu’heureux.
Difficile, parce que les chemins de sa première publication seront semés d’embûches. Écrit en langue kazakhe (1956), le récit n’en est pas moins refusé par les éditeurs du Kazakhstan : ils ont peur de sa liberté de ton, de l’esprit rétif du héros et, surtout, de l’ignorance affichée par l’auteur des principes du réalisme socialiste. Ils subodorent la sédition. Dépité, Sokpakbaïev se rend à Moscou avec, sous le bras, une traduction russe de son roman – traduction plutôt littérale que littéraire. Or, là, à la faveur du dégel khrouchtchévien, le manuscrit est accepté par les éditions Detgiz, spécialisées dans la littérature jeunesse. Le roman sort en 1958, ? traduit en concertation avec l’auteur Â». Il connaîtra ultérieurement d’autres traductions, dont celle de sa fille Samal que nous remercions ici pour les commentaires éclairants qu’elle a bien voulu nous apporter au fil de notre travail.
? J’ai traduit ce roman en russe à la demande de mon père qui souhaitait s’assurer que j’avais bien fait d’abandonner ma profession de chimiste pour me lancer dans la traduction littéraire. S’il a apprécié mon travail, c’était, me disait-il, pour le respect de la couleur locale et la fidélité au style. Â» La présente version française s’appuie sur cette traduction.
Aussitôt paru, aussitôt remarqué. Fort de ce prestige, l’auteur obtiendra bientôt une publication kazakhe, dans la langue d’origine, par des éditions de la République. Le roman enlèvera indéniablement la sympathie du public, succès étayé par une adaptation cinématographique de qualité, réalisée en 1963 par Abdolla Karsakbaïev (1926-1983).
Je m’appelle Koja restera l’œuvre maîtresse de Sokpakbaïev qui fera un jour cet aveu : ? Pour être franc, c’est grâce à ce roman que j’ai pu survivre et que je n’ai pas craqué. Il m’a soutenu dans les heures les plus noires, tant au plan matériel que moral. Â»
Samal Sokpakbaïeva nous écrit : ? Mon père a signé d’autres ouvrages d’importance notable, chacun faisant son chemin jusqu’au lecteur en dépit d’immenses difficultés et d’une censure sans merci. Il a toujours vécu “sous la férule” du KGB, ce dont il était parfaitement conscient. Comme il se comportait de fait en opposant au pouvoir soviétique, les écueils s’accumulaient sur sa route personnelle et professionnelle. Malgré sa notoriété, il n’a jamais bénéficié d’honneurs ni de privilèges. De guerre lasse, se voyant impuissant à exercer son droit d’écrire la vérité, mon père a cessé de pratiquer l’art de l’écriture à moins de 40 ans? Â»
Pour un écrivain, ce refus d’écrire s’apparente à une forme de suicide, raison pour laquelle, peut-être, la rumeur interprétera son décès prématuré, à l’âge de 66 ans (1924-1991), comme un acte ultime de renonciation. C’est pourtant une impression de force qui se dégage de Koja, une œuvre humaine, humaniste, touchante et débordante d’énergie. »

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