Chapitre 8 :
« Cela le prenait quelquefois. Il se mettait à philosopher sur l’art populaire, furieux de le voir disparaître, ne sachant qui incriminer. Pourtant, dans sa jeunesse, il avait été du côté des fossoyeurs du passé. Une fois même, à une réunion du Komsomol, il avait fait un discours où il réclamait la suppression des yourtes. Il avait entendu dire, il ne savait plus où, que les yourtes devaient disparaître, que c’étaient des logis d’avant la révolution. “À bas les yourtes ! Nous en avons assez de vivre dans du vieux !”
Et l’on avait “dékoulakisé” les yourtes. On s’était mis à construire des maisons, tandis que les yourtes s’en allaient au rebut. Les pans de feutre, découpés, servirent à Dieu sait quoi, les bois se transformèrent en barrières, enclos à bétail ou même fagots?
Après quoi, on s’aperçut que l’élevage de plein air était impossible sans yourtes. Et maintenant, à chaque fois, Tanabaï s’étonnait d’avoir pu dire des choses pareilles et traîner les yourtes dans la boue, alors que pour la vie nomade, on n’avait encore rien trouvé de mieux. Comment n’avait-il pas vu qu’elles étaient la merveilleuse invention de son peuple, une invention dont chaque détail avait été mis à l’épreuve par l’expérience plusieurs fois centenaire des générations ?
Maintenant, il habitait la yourte toute trouée et couverte de suie que lui avait laissée le vieux Torgoï. Elle était très, très vieille, et si elle tenait encore tant bien que mal debout, c’était grâce à l’inépuisable patience de Djaïdar. Elle passait des jours et des jours à la réparer, la rapiécer, lui donner un aspect habitable, mais au bout d’une ou deux semaines, le feutre à bout d’usure repartait en lambeaux, de nouvelles fentes bâillaient où s’engouffrait le vent, se déversait la neige, ruisselait la pluie. Alors, l’épouse se remettait en réparations, et cela n’avait pas de fin.
— Combien de temps allons-nous encore souffrir, se plaignait-elle. Regarde, ce n’est plus une kochma, mais sa dépouille mortelle, elle tombe en poussière. Quant aux kéréghé-ououk, regarde ce qu’ils sont devenus ! C’est honteux à dire. Si au moins tu obtenais qu’on nous donne des kochma neuves. Tu es le maître de maison, oui ou non ? Quand est-ce que nous vivrons comme des êtres humains ? »
Chapitre 1 (p. 18-20)
Chapitre 7 (p. 106-108)
Extrait court
« Cela le prenait quelquefois. Il se mettait à philosopher sur l’art populaire, furieux de le voir disparaître, ne sachant qui incriminer. Pourtant, dans sa jeunesse, il avait été du côté des fossoyeurs du passé. Une fois même, à une réunion du Komsomol, il avait fait un discours où il réclamait la suppression des yourtes. Il avait entendu dire, il ne savait plus où, que les yourtes devaient disparaître, que c’étaient des logis d’avant la révolution. “À bas les yourtes ! Nous en avons assez de vivre dans du vieux !”
Et l’on avait “dékoulakisé” les yourtes. On s’était mis à construire des maisons, tandis que les yourtes s’en allaient au rebut. Les pans de feutre, découpés, servirent à Dieu sait quoi, les bois se transformèrent en barrières, enclos à bétail ou même fagots?
Après quoi, on s’aperçut que l’élevage de plein air était impossible sans yourtes. Et maintenant, à chaque fois, Tanabaï s’étonnait d’avoir pu dire des choses pareilles et traîner les yourtes dans la boue, alors que pour la vie nomade, on n’avait encore rien trouvé de mieux. Comment n’avait-il pas vu qu’elles étaient la merveilleuse invention de son peuple, une invention dont chaque détail avait été mis à l’épreuve par l’expérience plusieurs fois centenaire des générations ?
Maintenant, il habitait la yourte toute trouée et couverte de suie que lui avait laissée le vieux Torgoï. Elle était très, très vieille, et si elle tenait encore tant bien que mal debout, c’était grâce à l’inépuisable patience de Djaïdar. Elle passait des jours et des jours à la réparer, la rapiécer, lui donner un aspect habitable, mais au bout d’une ou deux semaines, le feutre à bout d’usure repartait en lambeaux, de nouvelles fentes bâillaient où s’engouffrait le vent, se déversait la neige, ruisselait la pluie. Alors, l’épouse se remettait en réparations, et cela n’avait pas de fin.
— Combien de temps allons-nous encore souffrir, se plaignait-elle. Regarde, ce n’est plus une kochma, mais sa dépouille mortelle, elle tombe en poussière. Quant aux kéréghé-ououk, regarde ce qu’ils sont devenus ! C’est honteux à dire. Si au moins tu obtenais qu’on nous donne des kochma neuves. Tu es le maître de maison, oui ou non ? Quand est-ce que nous vivrons comme des êtres humains ? »
(p. 123-125)
Chapitre 1 (p. 18-20)
Chapitre 7 (p. 106-108)
Extrait court