Jean Zunino, lecteur, le 25 mars 2024 :
? Dans cet ouvrage d’Aïtmatov, on retrouve les fondamentaux de l’auteur : le respect et l’amour de la nature, la passion pour sa terre natale. On retrouve aussi un personnage principal qui n’est pas humain, comme souvent chez lui : un nuage, un torrent, un léopard et, ici, un cheval. Djamilia est la seule exception à cette règle dans les romans que je lui connais.
Aïtmatov analyse de façon très rigoureuse l’échec de la collectivisation des terres et du cheptel, qu’il nous fait vivre de l’intérieur à travers ce que Tanabaï a vécu ; c’est peut-être en ce sens que c’est un chef-d’œuvre. Le personnage de Tanabaï est très attachant dans son amour pour Goulsary, qui ne le trahit pas, et la fidélité à son parti qu’il rejoint après en avoir été exclu. Il est vrai que, à ce moment-là, son cheval est mort? Que lui reste-t-il alors ? On peut aller très loin dans les problèmes que pose Aïtmatov. C’est en tout cas un livre qui ne laisse pas indifférent. Merci pour cette lecture. »
Christine Fisset, lectrice, le 12 mars 2024 :
? Une entrée au galop dans la culture kirghize. Tchinguiz Aïtmatov nous dévoile à sa manière tout un pan de l’histoire de son pays, au temps de la soviétisation. On sait combien l’échine des habitants de l’URSS a dû ployer sous le joug du régime, jusqu’au fond des campagnes. On le sait par nos cours d’histoire, à grand renfort de statistiques et d’analyses d’experts. Mais ici, l’épopée des kolkhozes est racontée par le filtre des émotions d’un homme et de son cheval. Tout passe par la chair et le sang. D’abord parce que Tchinguiz écrit à partir de sa propre expérience. Orphelin d’un père fusillé pendant les purges staliniennes des années 1930, puis propulsé à 14 ans secrétaire du soviet local dans un village reculé, il nous livre un condensé de réalisme soviétique – pas celui des statues athlétiques et triomphantes – non, du vrai ! Le réalisme des combats et des contradictions intimes. Combat contre l’adversaire à la guerre, contre les ennemis de classe – même dans sa propre famille –, combat contre la neige et le froid pour enrayer l’hécatombe du troupeau, combat contre une hiérarchie implacable. Et comme dans des poupées russes, au milieu des luttes, le héros devient lui-même le théâtre de batailles intimes : le remord envers le frère, le désir d’une autre femme, le regret des emportements. Alors, oui, comment ne pas vieillir avant l’âge? Et, surtout, comment tenir coûte que coûte ? Quels êtres merveilleux sont placés en sentinelle ? Une femme intelligente et insubmersible, un ambleur que l’on chevauche en hurlant de joie, un ami à qui l’on dit tout et au-delà. Réalisme du clair-obscur de chaque être : point de manichéisme dans le récit, point d’anthropomorphisme non plus, même si le cheval saisit tous les mouvements intérieurs de son maître. Comme ils inspirent à la fois la pitié et l’admiration, ces hommes et ces bêtes, lutteurs jusqu’à la dernière extrémité, et comme on se tait, songeurs, à la vue des incommensurables sacrifices consentis par le héros pour un avenir meilleur, mais aussi de sa foi dans la cause, intacte comme au premier jour de la Révolution. »