Collection « Nature nomade »

  • Je m’appelle Koja
  • Le Chemin des plantes
  • Adieu Goulsary
  • Avec les ours
  • Bergère
  • Initiation (L’)
  • Un hiver de coyote
Couverture
Chapitre 7 :

« Djaïdar installait, en l’honneur de ses bêtes, une kochma neuve qu’elle recouvrit d’une bostek en peau de chèvre, couverture spécialement destinée à qui s’assoit au sol. Ibrahim paya aussi son dû de politesses à Djaïdar :
— Bonjour, Djaïdar-baïbitché. Comment vous portez-vous ? Toujours aux petits soins pour votre baï ? Bonjour, entrez, asseyez-vous là.
Tout le monde prit place.
— Verse-nous du koumyss, demanda Tanabaï à sa femme.
Tout en dégustant le koumyss, on parla de choses et d’autres.
— À l’heure actuelle, l’élevage est la meilleure des affaires. Ici, on est sûr d’avoir du lait et de la viande, au moins l’été, raisonnait Ibrahim. Tandis qu’aux champs ou dans les autres métiers, en ce moment, c’est zéro. Ce qui fait qu’on est encore bien plus heureux à garder des chevaux ou des brebis. N’est-il pas vrai, Djaïdar-baïbitché ?
Djaïdar hocha la tête, Tanabaï laissa passer. Il savait cela tout seul et ce n’était pas la première fois qu’Ibrahim, qui n’en ratait jamais l’occasion, insinuait qu’une situation d’éleveur, c’est précieux. Tanabaï aurait bien voulu lui dire qu’il n’y voyait rien de bon à ce que les gens s’acharnassent à conserver leur place bien au chaud, avec viande et lait assurés. Et les autres alors ? Comment faisaient-ils ? Jusqu’à quand travailleraient-ils pour rien ? Est-ce que c’était comme ça, pendant la guerre ? À l’automne on vous livrait deux à trois chariots de blé par foyer. Et maintenant ? Tout le monde était là à cavaler, un sac vide à la main, cherchant quelque chose à glaner. C’est eux qui cultivent le blé et ils n’en ont même pas pour eux. C’était des choses à faire, ça ? On ne va pas très loin, à coups de réunions et d’exhortations. C’est pour ça que le cœur de Tchoro l’avait lâché : parce qu’il n’avait plus rien d’autre que de bonnes paroles à offrir aux gens en échange de leur travail.
Mais à quoi lui aurait-il servi de dire à Ibrahim ce qu’il avait sur le cœur ? Et puis il n’avait guère envie de prolonger la conversation. Il fallait se débarrasser des visiteurs au plus vite : plus tôt il sellerait l’amblier et irait régler ses affaires, plus tôt il s’en sortirait. Qu’est-ce qui lui valait l’honneur ? Il eût été inconvenant de le leur demander.
— Je ne te remets point, ami, dit Tanabaï au compagnon d’Ibrahim, un jeune djighite taciturne. Ne serais-tu pas le fils de feu Ahalak ?
— Mais si, Tanaké, je suis son fils.
— Comme le temps passe ! Tu es venu voir les troupeaux ? ça t’intéresse ?
— Euh, non, nous?
— Il est venu m’accompagner, le coupa Ibrahim. Car nous sommes ici pour régler certaines questions, mais cela, nous en parlerons plus tard. Votre koumyss est vraiment excellent, Djaïdar-baïbitché. Quelle odeur forte ! Versez m’en donc encore une tasse.
Et l’on reparla de la pluie et du beau temps. Tanabaï sentait venir quelque chose de grave, mais ne parvenait pas à deviner ce qui avait bien pu amener Ibrahim. Enfin, celui-ci sortit un papier de sa poche.
— Voilà, Tanaké, l’affaire pour laquelle nous sommes venus vous voir est consignée dans ce papier. Lisez.
Tanabaï se mit à lire en silence, déchiffrant avec peine, syllabe par syllabe. Et il n’en croyait pas ses yeux. Le papier portait, tracés d’une large écriture, les termes que voici :
“Décision.
Au gardien de chevaux Bakassov.
Expédier l’amblier Goulsary aux écuries comme cheval de selle.
Le prés. du Kolkhoze.
Signé : illisible – le 5 mars 1950
” »
(p. 106-108)

Chapitre 1 (p. 18-20)
Chapitre 8 (p. 123-125)
Extrait court
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