Rude réalité :
« Au début, tout allait bien. La piste était tassée et toute droite, il suffisait d’accélérer, ralentir, freiner. Un vrai jeu d’enfant, hélas, de courte durée. Cinq cents mètres plus loin, les traces des deux hommes quittaient la piste principale pour s’engager dans le bois et slalomer entre les arbres sur un épais tapis de neige fraîche. Pour les suivre, il fallait maîtriser la sinuosité, or j’étais loin du compte ! À peine engagée dans la poudreuse, ma motoneige est passée de docile à rétive. Sa stabilité a semblé faire défaut. La traîtresse oscillait au moindre prétexte. Très vite, mes manœuvres se sont révélées totalement inefficaces. Faire pivoter le guidon de droite à gauche communiquait bien le même va-et-vient imbécile aux patins mais la lourde chenille refusait de suivre le mouvement. Résultat : à chacune de mes tentatives pour virer, j’échouais dans une congère. Comme le fichu engin n’était pas équipé de marche arrière, il me fallait en descendre, le contourner et le dégager en tirant comme un âne. La tâche était fatigante et malaisée. En sueur et énervée, je retentais ma chance dès l’objet de mes tourments remis sur le sillon tassé. Deux options s’offraient alors à moi : me replanter dans une congère quelques mètres plus loin ou tomber de selle en essayant de slalomer. Dans les deux cas, je pestais et m’épuisais. Parvenir à circuler à motoneige dans la poudreuse me semblait équivalent à tenter de rester en équilibre sur une planche étroite dans un bassin rempli de mousse à raser ! Plus je tombais, plantais le skidoo dans la neige et l’en extirpais, et plus il me fallait lutter pour ne pas pleurer.
À l’arrivée de Laurier et Réhaume, toute de bruit, de fumée et de neige projetée, j’étais arc-boutée sur ma motoneige pour essayer de franchir un gué caillouteux. Sans un mot de commentaire, sans même un regard ironique, Laurier m’a écartée de la bête, s’en est emparé, l’a sortie sans effort du filet d’eau dans lequel elle trempait, a atterri sur l’autre rive, fait demi-tour et accéléré pour franchir à nouveau le gué et s’arrêter à ma hauteur.
“Rentre au pick-up te mettre au chaud avec Mario”, m’a-t-il alors ordonné.
J’ai acquiescé, tête basse. Ils sont partis poursuivre la prospection, me laissant à mes sombres ruminations. En me voyant arriver, la mine longue et les vêtements couverts de la neige accumulée lors de mes chutes, Mario n’a pas hésité longtemps à quitter le pick-up pour venir à ma rescousse. Sans un mot, il a pris ma motoneige en main et, avec une bonne accélération, a grimpé la congère pour passer sur le plateau du pick-up. Je lui ai été reconnaissante de me laisser installer et serrer les sangles, seule tâche à ma portée.
L’essai terrain était on ne peut plus parlant : je devais sans attendre retrouver la vie citadine et le travail de bureau où je pouvais avoir mon utilité. Dans les grands espaces enneigés, mon incompétence était un fardeau pour Laurier et nous mettait tous deux en danger. Ma présence dans ce monde blanc, au milieu de cette équipe d’hommes, mon rôle dans l’étude, le financement dont je bénéficiais, tout résultait d’une immense supercherie dont j’avais été à la fois actrice et dupe. Je devais renoncer, mon caquet enfin à jamais rabattu.
Mais je ne pouvais m’y résigner. Alors, j’ai décidé de ravaler ma honte et ma peur, d’étouffer mon désir de fuite et de m’accrocher, comme une tique à un chien, une moule à un rocher. “Nulle mais tenace” serait ma devise. »
Le ravage de Bonaventure (p. 88-90)
Sur la rivière Reboul (p. 106-109)
Extrait court
« Au début, tout allait bien. La piste était tassée et toute droite, il suffisait d’accélérer, ralentir, freiner. Un vrai jeu d’enfant, hélas, de courte durée. Cinq cents mètres plus loin, les traces des deux hommes quittaient la piste principale pour s’engager dans le bois et slalomer entre les arbres sur un épais tapis de neige fraîche. Pour les suivre, il fallait maîtriser la sinuosité, or j’étais loin du compte ! À peine engagée dans la poudreuse, ma motoneige est passée de docile à rétive. Sa stabilité a semblé faire défaut. La traîtresse oscillait au moindre prétexte. Très vite, mes manœuvres se sont révélées totalement inefficaces. Faire pivoter le guidon de droite à gauche communiquait bien le même va-et-vient imbécile aux patins mais la lourde chenille refusait de suivre le mouvement. Résultat : à chacune de mes tentatives pour virer, j’échouais dans une congère. Comme le fichu engin n’était pas équipé de marche arrière, il me fallait en descendre, le contourner et le dégager en tirant comme un âne. La tâche était fatigante et malaisée. En sueur et énervée, je retentais ma chance dès l’objet de mes tourments remis sur le sillon tassé. Deux options s’offraient alors à moi : me replanter dans une congère quelques mètres plus loin ou tomber de selle en essayant de slalomer. Dans les deux cas, je pestais et m’épuisais. Parvenir à circuler à motoneige dans la poudreuse me semblait équivalent à tenter de rester en équilibre sur une planche étroite dans un bassin rempli de mousse à raser ! Plus je tombais, plantais le skidoo dans la neige et l’en extirpais, et plus il me fallait lutter pour ne pas pleurer.
À l’arrivée de Laurier et Réhaume, toute de bruit, de fumée et de neige projetée, j’étais arc-boutée sur ma motoneige pour essayer de franchir un gué caillouteux. Sans un mot de commentaire, sans même un regard ironique, Laurier m’a écartée de la bête, s’en est emparé, l’a sortie sans effort du filet d’eau dans lequel elle trempait, a atterri sur l’autre rive, fait demi-tour et accéléré pour franchir à nouveau le gué et s’arrêter à ma hauteur.
“Rentre au pick-up te mettre au chaud avec Mario”, m’a-t-il alors ordonné.
J’ai acquiescé, tête basse. Ils sont partis poursuivre la prospection, me laissant à mes sombres ruminations. En me voyant arriver, la mine longue et les vêtements couverts de la neige accumulée lors de mes chutes, Mario n’a pas hésité longtemps à quitter le pick-up pour venir à ma rescousse. Sans un mot, il a pris ma motoneige en main et, avec une bonne accélération, a grimpé la congère pour passer sur le plateau du pick-up. Je lui ai été reconnaissante de me laisser installer et serrer les sangles, seule tâche à ma portée.
L’essai terrain était on ne peut plus parlant : je devais sans attendre retrouver la vie citadine et le travail de bureau où je pouvais avoir mon utilité. Dans les grands espaces enneigés, mon incompétence était un fardeau pour Laurier et nous mettait tous deux en danger. Ma présence dans ce monde blanc, au milieu de cette équipe d’hommes, mon rôle dans l’étude, le financement dont je bénéficiais, tout résultait d’une immense supercherie dont j’avais été à la fois actrice et dupe. Je devais renoncer, mon caquet enfin à jamais rabattu.
Mais je ne pouvais m’y résigner. Alors, j’ai décidé de ravaler ma honte et ma peur, d’étouffer mon désir de fuite et de m’accrocher, comme une tique à un chien, une moule à un rocher. “Nulle mais tenace” serait ma devise. »
(p. 71-73)
Le ravage de Bonaventure (p. 88-90)
Sur la rivière Reboul (p. 106-109)
Extrait court