Java et Madura :
« Jamais, dans mes livres de classe, je n’ai lu la moindre ligne sur cet archipel démesuré des Indes orientales qu’on appelle aujourd’hui l’Indonésie. Résumer en une phrase ce pays qui est un et multiple à la fois semble déraisonnable. Il y a d’abord cette mer immense qui sépare autant qu’elle rapproche. Et puis il y a ces quelque 17 500 îles, dont plus de 11 000 ne portent encore aucun nom, qui s’égrènent comme des émeraudes le long de l’équateur. Les Indonésiens nomment affectueusement leur patrie tanah air kita, c’est-à-dire “notre terre et notre eau”, car ici les océans sont trois fois plus vastes que les terres. Ce long collier est d’une richesse unique : il abrite une myriade de peuples, de langues, de cultures et de croyances aussi variés que fascinants. Si près de quatre-vingt-dix pour cent des 245 millions d’habitants de l’archipel sont musulmans, plusieurs peuples pratiquent encore la religion de leurs ancêtres, d’autres sont chrétiens et, à Bali, la population cultive une forme d’hindouisme qui n’appartient qu’à elle, l’agama hindu bali? Souvent les cultes monothéistes officiels se marient volontiers avec les démons de la mer, les dieux des volcans ou les esprits des montagnes. Et voilà l’Indonésie qui se révèle : une diversité foisonnante, vivante, chatoyante, ouverte à toutes les influences, qui greffe de nouvelles formes religieuses aux plus anciennes pour ne garder, en fin de compte, que ce qui lui convient.
Parangtritis est une plage de sable noir immense et majestueuse, située sur la côte sud de Java, à une trentaine de kilomètres de la ville de Yogyakarta. Les Javanais de la région y viennent en fin de semaine pour se promener avec leurs enfants, pour faire un tour de calèche ou pour manger face à l’océan Indien. Ici, aucun touriste occidental. D’ailleurs pourquoi viendraient-ils ? La baignade est interdite. La puissance des vagues et des courants emporte chaque année les baigneurs les plus téméraires. À n’importe quelle heure du jour, cette plage est magique à plus d’un titre. Le lieu est sacré, profondément ancré dans la culture et le mysticisme javanais. Il attire autant qu’il fait peur car la mer est ici le royaume de la très puissante Kangjeng Ratu Kidul, la déesse des Mers du Sud. Cette reine serait apparue pendant la période hindouiste de Java. Selon la mythologie locale, elle avait promis d’épouser un grand prince musulman. Lorsque Senopati, fondateur du royaume de Mataram en 1583, vint méditer sur la côte, la mer entra en ébullition et Ratu Kidul se manifesta à lui. Elle l’emmena dans son palais sous-marin où il étudia trois jours durant l’art de gouverner et où il découvrit surtout les méandres de l’amour avec la princesse. Depuis lors, cette union mystique est renouvelée chaque année par les descendants de Senopati, les sultans de Java. Ce jour-là, une foule immense porte des offrandes sacrées du palais du sultan de Yogyakarta à la plage afin de renforcer ce lien sacré sans lequel l’harmonie et la paix ne pourraient perdurer. »
De Sumatra à Bornéo (p. 50-53)
Sulawesi et Bali (p. 100-103)
Des petites îles de la Sonde à la Papouasie occidentale (p. 116-119)
« Jamais, dans mes livres de classe, je n’ai lu la moindre ligne sur cet archipel démesuré des Indes orientales qu’on appelle aujourd’hui l’Indonésie. Résumer en une phrase ce pays qui est un et multiple à la fois semble déraisonnable. Il y a d’abord cette mer immense qui sépare autant qu’elle rapproche. Et puis il y a ces quelque 17 500 îles, dont plus de 11 000 ne portent encore aucun nom, qui s’égrènent comme des émeraudes le long de l’équateur. Les Indonésiens nomment affectueusement leur patrie tanah air kita, c’est-à-dire “notre terre et notre eau”, car ici les océans sont trois fois plus vastes que les terres. Ce long collier est d’une richesse unique : il abrite une myriade de peuples, de langues, de cultures et de croyances aussi variés que fascinants. Si près de quatre-vingt-dix pour cent des 245 millions d’habitants de l’archipel sont musulmans, plusieurs peuples pratiquent encore la religion de leurs ancêtres, d’autres sont chrétiens et, à Bali, la population cultive une forme d’hindouisme qui n’appartient qu’à elle, l’agama hindu bali? Souvent les cultes monothéistes officiels se marient volontiers avec les démons de la mer, les dieux des volcans ou les esprits des montagnes. Et voilà l’Indonésie qui se révèle : une diversité foisonnante, vivante, chatoyante, ouverte à toutes les influences, qui greffe de nouvelles formes religieuses aux plus anciennes pour ne garder, en fin de compte, que ce qui lui convient.
Parangtritis est une plage de sable noir immense et majestueuse, située sur la côte sud de Java, à une trentaine de kilomètres de la ville de Yogyakarta. Les Javanais de la région y viennent en fin de semaine pour se promener avec leurs enfants, pour faire un tour de calèche ou pour manger face à l’océan Indien. Ici, aucun touriste occidental. D’ailleurs pourquoi viendraient-ils ? La baignade est interdite. La puissance des vagues et des courants emporte chaque année les baigneurs les plus téméraires. À n’importe quelle heure du jour, cette plage est magique à plus d’un titre. Le lieu est sacré, profondément ancré dans la culture et le mysticisme javanais. Il attire autant qu’il fait peur car la mer est ici le royaume de la très puissante Kangjeng Ratu Kidul, la déesse des Mers du Sud. Cette reine serait apparue pendant la période hindouiste de Java. Selon la mythologie locale, elle avait promis d’épouser un grand prince musulman. Lorsque Senopati, fondateur du royaume de Mataram en 1583, vint méditer sur la côte, la mer entra en ébullition et Ratu Kidul se manifesta à lui. Elle l’emmena dans son palais sous-marin où il étudia trois jours durant l’art de gouverner et où il découvrit surtout les méandres de l’amour avec la princesse. Depuis lors, cette union mystique est renouvelée chaque année par les descendants de Senopati, les sultans de Java. Ce jour-là, une foule immense porte des offrandes sacrées du palais du sultan de Yogyakarta à la plage afin de renforcer ce lien sacré sans lequel l’harmonie et la paix ne pourraient perdurer. »
(p. 8-11)
De Sumatra à Bornéo (p. 50-53)
Sulawesi et Bali (p. 100-103)
Des petites îles de la Sonde à la Papouasie occidentale (p. 116-119)