Collection « Visions »

« ? quelques kilom?tres ? peine de Vence, un village de l?arri?re-pays a su, mieux que d?autres alentour, garder ses habitants, ses f?tes traditionnelles, faisant qu?on aime ? y vivre et ? y travailler. Il se tient droit sous son baou et est entour? d?oliviers et de pins, de vignes aussi, car nous sommes ? Saint-Jeannet dont Pr?vert a chant? le vignoble. Au centre du village, face ? l??glise trois fois centenaire, s??l?ve haut ?la maison neuve sur la place?, dont Fran?ois Cali a racont? l?histoire. Au-dessus de la place du Verger, et presque au bout du chemin le plus escarp? que je connaisse, a longtemps v?cu et cr?? le po?te dada?ste Georges Ribemont-Dessaignes. ? l?est du village, enfin, R?my Rasse a install? son atelier sous le toit d?une ancienne demeure. C?est un lieu magique, avec la M?diterran?e bleue qui emplit l?horizon. Quand on se tourne vers l?int?rieur de la pi?ce, on change de continent?; les Andes sont partout sur les murs et, m?me sur le plancher, se m?lent de grands paysages peints ? l?huile, des march?s indiens color?s au pastel, des ?toffes aux teintes vives, des masques et des c?ramiques.
On ne comprendrait pas bien R?my Rasse si on ne le savait pas enracin? dans un village qui a gard? une ?me. Un double enracinement, puisque sa famille, grande famille ? l?antique, mais ouverte sur le monde ? les parents, les treize fr?res et s?urs, les vingt-sept petits-enfants ? constitue ? elle seule une seconde communaut?, tout enti?re tourn?e vers la vigne qu?elle cultive depuis plusieurs g?n?rations. Pourtant R?my Rasse aspire ? davantage, ? ce monde perdu dont chacun r?ve. Comme Gauguin, il est parti tr?s loin ? sa recherche et, lui aussi, il l?a trouv? de l?autre c?t? des mers. Son Oc?anie, ce sont les Andes, dont il parcourt infatigablement ? pied les solitudes six mois par an avec un cheval qui porte vivres, couchage et bo?te ? peintures. Car, comme C?zanne, un autre ma?tre qu?il admire, il peint sur le motif. Mais sa montagne Sainte-Victoire s?appelle le lac Titicaca ou la vall?e de la Lune.
Il faut certainement de l?audace aujourd?hui pour oser, en peinture, le grand sujet d?autrefois, le paysage. R?my Rasse assume cette audace dans des toiles ? la fois expressionnistes et inspir?es, qui pourraient faire penser ? un Franz Marc ou au grand Caspar David Friedrich et ? ses paysages tr?s spiritualis?s. L?artiste s?impr?gne des cultures locales quand il peint les lacs, les vall?es, les montagnes. Dans ses toiles, la Pachamama, la grande d?esse-m?re des Indiens, est souvent pr?sente, et plusieurs soleils brillent parfois magiquement dans le ciel de l?Altiplano. Son ?pouse Anal?a, native de la r?gion argentine de Jujuy, ? la fronti?re de la Bolivie, cin?aste de m?tier, l?a aid? ? conna?tre de l?int?rieur cette civilisation. Ensemble, ils ont produit et film? plusieurs documentaires sur la vie des peuples andins, dont les coutumes et les traditions ont su r?sister ? la conqu?te espagnole et ? la modernit?. La fascination qu?on peut ?prouver devant les paysages de R?my Rasse tient ? l?union harmonieuse d?une source d?inspiration qui remonte avec nostalgie si loin dans le temps, et d?une connaissance s?re de la peinture moderne. Mais il y a aussi, l? pr?sent, un??il qui, gr?ce au cin?ma et ? la photographie, a appris ? voir diff?remment le paysage, ouvrant ainsi une dimension nouvelle et plus large, ? la mesure du grand-angle photographique. »