La maison d’édition et la librairie des voyageurs au long cours
	
 
  
Interview : 
L’avenir devant soi
Pourquoi avoir choisi la diagonale du vide comme chemin ?
Nous menions des vies parisiennes « conventionnelles » et trépidantes. Nos agendas étaient pleins. Ce que nos emplois nous laissaient comme temps libre était consumé par les transports et les distractions de la ville. Justine était enceinte de notre premier enfant et approchait du terme de sa grossesse quand un vide professionnel s’est abattu sur nous en décembre 2023. Notre fils Homère est venu au monde peu après et, plus rien ne nous retenant à Paris, nous avons pris la décision de partir marcher au long cours tous les trois. Il fallait trouver un itinéraire qui faisait sens. La diagonale du vide s’est imposée de manière instinctive : en parcourant le vide géographique et démographique, nous pensions conjurer le vide professionnel et social qui nous touchait alors ! Cette notion, apprise sur les bancs de l’école, attisait notre curiosité depuis des années. Nous marchions dans des terroirs délaissés (l’Avallonais ou le Quercy), cherchant à saisir les réalités de cette France qualifiée de « vide » par certains géographes et démographes.
Mais ce n’était alors que de menues plongées de quelques jours. Il nous a fallu quatre mois, du 1er avril au 1er août 2024, pour traverser à pied la « diagonale du vide », de Sedan à Saint-Jean-Pied-de-Port. Nous y avons trouvé ce dont nous avions besoin : du temps et de la quiétude pour penser ; de l’espace pour se mouvoir et vivre ; ainsi que de l’amour. Nous nous en sommes remis à la bonté de nos compatriotes qui, pendant quatre mois, nous ont aidés et, quelque part, aimés.
Quelles impressions ses territoires vous ont-ils laissées ?
Nous retiendrons la diversité et la douceur des paysages que nous avons parcourus. Voyageant avec un bébé de 3 mois, nous avons privilégié les plaines ou les montagnettes. Des Ardennes au Pays basque, nous n’avons eu de cesse de nous émerveiller de nos terroirs. Il suffit de parcourir quelques dizaines de kilomètres pour passer des cuestas des Ardennes à la plaine champenoise et son horizon fuyant. Le Der offre une forêt et un lac qui a tout d’une mer intérieure. Aux vallons bourguignons succède le Morvan granitique. Il suffit de marcher 30 kilomètres, entre Condom et Eauze, pour quitter la blancheur du calcaire et trouver de la brique rouge et des pans de bois ! La géographie et les sédiments permettent ainsi aux provinces de garder une identité à l’heure où l’uniformisation guette villes et villages.
De champs en collines, nous avons été frappés par la cohérence de nos campagnes. Ou, devrait-on dire, l’harmonie. Harmonie entre les formes de la nature et celles produites par la main de l’homme. Les champs et les prés, les moulins et les murets, les églises et les fortins : tout s’imbrique sans accroc. À Rocamadour par exemple, le sanctuaire et la falaise de calcaire semblent se fondre l’un dans l’autre naturellement. Il en va de même pour les moulins, piqués avec régularité et soin, tout le long de la Doue, au nord de Martel.
Mais ce qui nous a le plus touchés, ce sont les paysages humains. L’homme est un terrain d’exploration et d’aventure infini. Pendant quatre mois, nous avons été reçus chez des artisans, des notables, des boursiers, des nonagénaires, des étudiants, des médecins, des agriculteurs. Une géographie humaine aussi riche que les reliefs que nous parcourions ! Ces hommes et ces femmes rencontrés sur les routes se sont révélés comme nos meilleurs alliés. Nous nous sommes ainsi fait plein de copains durant cette traversée !
Quelle est la spécificité de l’écriture à quatre mains ?
Ne pas déborder sur la page de l’autre !
Plus sérieusement, nous avons tenté de garder notre sensibilité. Nous formons un couple fusionnel tout en ayant des appétences propres et un regard singulier sur notre environnement. Le « partage » des écrits s’est fait naturellement, dans un souci de sincérité. Il y a des choses que Justine saura mieux exprimer que Romain et inversement. Nous le savons et, à partir de là, il nous a suffi de laisser parler nos mains.
Quelles surprises le voyage avec un enfant en bas âge vous a-t-il réservées ?
Homère avait 3 mois au départ de Sedan. Nous avons tout (ré)appris avec notre nourrisson. Être parents d’abord. Et marcher aussi, car la présence d’un si petit être change la dynamique de la marche. Nous étions à l’écoute totale de ses besoins. C’est lui qui dictait le rythme, les pauses, telle une majesté que l’on promène en litière ! Cela implique un décentrage certain puisque c’est vers Homère que se dirigeait notre concentration, notre énergie et notre attention.
De prime abord, voyager avec Homère pouvait aller à l’encontre de notre démarche d’introspection et de réflexion. Mais, par une merveilleuse alchimie, Homère nous a fait revenir à l’essentiel, a déployé ses bonnes ondes. Il s’émerveillait d’un rien, souriait autant de la pluie que du beau temps, déversait sur nos hôtes ses salves de pleurs et de rires ! Il irradiait son monde de sa gaieté, de sa légèreté, de son existence ouverte à l’imprévu. Enthousiaste en permanence, Homère nous a inspirés, nous a fait gagner en amplitude. Il a fait vibrer en nous le sens de l’aventure avec sa mélodie de pleurs, de cris, de rires.
Parlez-nous d’une lecture qui a accompagné votre marche.
Quand les conditions météorologiques le permettaient, Justine scandait l’Iliade, chemin faisant. Romain poussait ainsi Homère le Jeune tandis que sa mère lisait des vers d’Homère l’Ancien pour toute la famille.
La lecture a apporté un souffle particulier à notre marche : Homère nous invitait à voir un réel augmenté, permettait au relief de gagner en épaisseur. Il nous intimait à voir dans l’aube naissante, dans l’Aisne sortant de son lit ou dans la biche fendant la sente une certaine expression du divin, du sacré.
L’Iliade nous disait aussi beaucoup de l’homme, de sa complexité, de ses contradictions. Et du peu de prise qu’il a sur son destin, avec lequel les dieux sont bien taquins. Homère nous faisait tantôt mépriser Hélène et la plaindre ; admirer Achille et le détester ; craindre la puissance de Zeus et rire de sa candeur face à Héra. Homère, avec l’Iliade, avait déjà dit beaucoup sur la nature humaine. Et peut-être même tout.
Questions préparées par Lilla Poublan
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