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Interview : Nicolas Descave
Plantes de pieds
D’où vous est venue l’idée de partir en vous nourrissant des plantes trouvées en chemin ?
Elle m’est venue avec le printemps ! Je suis parti au mois d’avril, quand les jeunes pousses croisent les premières fleurs. Et il y avait cette phrase qui me revenait en tête : « se nourrir du chemin ». J’allais donc le faire avec les plantes, c’était une évidence. Elles allaient accompagner mon « épuration », la détoxification que l’on vient tous un peu chercher en voyageant. D’abord physique : en les mangeant concrètement et en profitant de leurs effets sur le corps. Ensuite, ce sont les pensées qu’elles allaient venir fleurir, et de même pour les états émotionnels profonds que l’on traverse. Mais à aucun moment je ne me suis obligé à manger ces plantes, c’était uniquement par plaisir, par appétit de la vie. Elles me permettaient une grande liberté dans la gestion des repas, et mon portefeuille trouvait aussi cette idée à son goût !
Pourquoi avoir choisi Saint-Jacques-de-Compostelle comme destination ?
J’en ai eu l’idée lors d’une balade, un mois avant de partir. Je n’étais pas dans mon assiette suite à une séparation hivernale. Je marchais avec un ami qui, justement, avait fait le chemin de Compostelle, lui aussi après une séparation, et était revenu tout pimpant et lumineux des pieds aux yeux. Son histoire m’est restée en tête. J’aime les marches au long cours, surtout lorsqu’elles rencontrent l’histoire et la spiritualité. En rentrant j’apprenais que j’allais avoir deux mois et demi de libres entre avril et juillet : c’était décidé, je mettrais les pieds dans le plat, sur le chemin de Compostelle. Immédiatement, tout dans ma vie s’est débloqué. Des projets colorés se sont concrétisés, le printemps s’est réveillé comme pour préparer le départ avec moi, et l’horizon s’est ouvert. Il s’appelait Compostelle.
Quelle aura été pour vous la plante emblématique de ce voyage ?
Sans hésitation : le grand plantain. Premièrement, car il se trouve dans les lieux tassés, le passage des pèlerins le fait donc pousser ! Deuxièmement, il est le meilleur remède aux inflammations en tout genre. Ce sont ses feuilles que les marcheurs glissent dans leurs chaussettes pour éviter les ampoules. Mais surtout, c’est un antihistaminique, c’est-à-dire qu’il stoppe les réactions allergiques, propriété pouvant se révéler cruciale pour le marcheur solitaire. Comme il est comestible, je le dégustais en me disant qu’ainsi il m’évitait d’être allergique à la météo future, ou au nombre de pèlerins qu’on m’annonçait grandissant, le genre de pensées qui provoquent une inflammation de la tête alors que tout va bien. Et, enfin, si vous regardez ses feuilles, vous verrez qu’elles cachent l’étoile de Compostelle, la coquille Saint-Jacques dans sa forme et ses nervures !
En quoi votre démarche vous a-t-elle permis d’avoir une perception différente du chemin ?
Cueillir rend curieux et facilite les rencontres avec les autres pèlerins. Les échanges de nourriture le soir venu se trouvent d’autant plus colorés. Mais à l’histoire des lieux et des humains rencontrés se rajoutait celle des plantes, que ce soit leurs actions thérapeutiques ou leurs légendes. Les porter à la bouche me donnait l’impression de ne faire qu’un avec le chemin, et ne pas avoir de réserves me rendait vulnérable donc très sensible, et léger ! Les milieux naturels qu’elles représentent ont aussi grandement influencé mes pensées, les paysages intimes que j’avais à traverser sur mon chemin personnel. Ainsi, les tourbières de l’Aubrac, où la matière organique ne se décompose pas, ont évoqué pour moi les morts bloqués en nous. C’est en les traversant que j’ai pris conscience que je faisais ce pèlerinage pour accompagner le deuil de ma mère.
Quel livre sur la botanique recommandez-vous à un novice ?
Commencer la botanique par les plantes sauvages comestibles est une bonne idée puisqu’elles offrent à notre mémoire des points d’accroche. Je conseillerais alors l’ouvrage Récolter les jeunes pousses des plantes sauvages comestibles de Moutsie et Gérard Ducerf aux éditions de Terran. Ensuite, les différents livres illustrés par Marjorie Blamey, pour la justesse de ses dessins, et les livres de Gérard Ducerf, riches en photographies et en informations. Je recommanderai surtout d’avoir plusieurs livres, pour éviter de se fier à une source unique qui pourrait contenir des erreurs.
Questions préparées par Claire Dufaure
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