La maison d’édition et la librairie des voyageurs au long cours


Interview : Fabien Bastide

Une 2CV débridée

Livre concerné : La 2CV vagabonde

Qu’est-ce que le déplacement en 2CV apporte au voyage ?
Pour quiconque voit dans le voyage un hommage à la lenteur, la 2CV est une complice de choix. Véritable ambassadrice de notre pays, elle présente de multiples atouts qui donnent un caractère intime aux aventures les plus audacieuses. Sa taille et sa silhouette incarnent la modestie et favorisent le contact. Elle est connue de tout pays et, de la Bulgarie au Cambodge en passant par l’Iran, elle est souvent une madeleine de Proust. De plus, ouverte aux quatre vents et condamnée à une lenteur insolente, elle plaide en faveur de ses passagers qui, grâce à elle, inspirent la confiance et la bienveillance ! Plus qu’une voiture, elle a été notre complice et notre sésame.

Quelles sont les spécificités de l’aventure en couple ?
En ménage, il y a l’équipe et il y a le couple. Ce précepte s’applique davantage encore dans les 2 m2 d’une 2CV à l’autre bout du monde qu’entre les quatre murs d’un appartement en France. Pour autant, ce qui est vrai d’une escapade en couple n’est pas nécessairement applicable dans le cadre d’un long périple, car une aventure au long cours sur des routes improvisées exige une connivence toute particulière et une indispensable connaissance de l’autre : les vertus de l’équipe. Or, le motif de l’aventure est précisément l’imprévisibilité et le désapprentissage ; les incertitudes, le doute et la peur s’invitent parfois. Autant de défis qu’en solitaire on peine à relever. À deux, il y a l’autre. La complicité, l’indulgence et le sentiment de pouvoir s’appuyer sur son/sa coéquipier(e) sont les clés d’une expédition réussie. Pour ce qui est du couple, le sentiment de mobiliser les énergies individuelles vers un dessein commun, la vie au grand air, l’absence de contraintes, tout cela aide à se concentrer sur ce qui unit plutôt que sur ce qui divise. Incontestablement, l’harmonie s’opère en itinérance !

S’il fallait ne retenir qu’un moment?
LA question-piège? Peut-être l’émotion du mécanicien iranien croisé au bord de la route qui, après avoir retenu longtemps ses larmes, les libéra en nous implorant de faire savoir à notre retour que son pays n’est pas le nid de terroristes que les médias décrivent ? Peut-être les coups du destin qui nous amenèrent à dormir une nuit à la belle étoile, la suivante chez un prince qadjar, la troisième dans un hôtel de passe ? Ou nos premiers pas au Laos, le long du Mékong, découvert à l’issue d’un an et demi de voyage et que nous longions la gorge nouée.

Quelles émotions la quête des origines de votre compagne vous a-t-elle procurées ?
Dès que nous nous sommes connus, c’est-à-dire une douzaine d’années avant qu’elle ne découvre le Laos, Coralie m’a confié son désir de renouer avec ses origines qu’elle ne connaissait qu’au travers de sa famille expatriée en France depuis le milieu des années 1970, au lendemain de la prise du pouvoir par le Pathet Lao. Au-delà de son souhait d’imprégnation culturelle, ce voyage lui permettrait de se familiariser avec la langue et ainsi de pouvoir communiquer avec ses grands-parents paternels installés en France. De plus, notre projet consistait finalement à remonter le chemin que son père, alors adolescent, avait emprunte_ depuis la péninsule Indochinoise jusqu’a_ l’Europe trente-cinq ans auparavant. Ce voyage revêtait à cet égard une grande dimension symbolique et l’émotion qu’a procurée notre arrivée au Laos a été de ce fait incommensurable. Nous n’en avions pas fini avec ce pays ; les trois mois prévus s’allongèrent en un séjour de sept ans !

Y a-t-il des auteurs qui vous ont inspiré ?
Tant en ce qui concerne le voyage que l’écriture, ils sont nombreux et chacun apporte son lot d’enseignements. Pour n’en citer que quelques-uns, Ida Pfeiffer et Alexandra David-Néel m’ont appris l’audace et la dissidence ; Ella Maillart, Marco Polo, Annemarie Schwarzenbach et Peter Flemming m’ont enseigné la vertu des grands espaces et du voyage lent ; Arthur Rimbaud, Joseph Kessel, Kenneth White et Blaise Cendrars m’ont dévoilé la magie des mots ; Pierre Loti et Claude Lévi-Strauss celle de l’analyse du monde qui nous entoure ; Théodore Monod le voyage sobre. Bien sûr, de nombreux autres auteurs et voyageurs, parfois plus contemporains et dont je découvre les œuvres chaque jour, sont à ajouter à cette longue liste.

Questions préparées par Anna-Katharina Lauer


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