La maison d’édition et la librairie des voyageurs au long cours
Interview : Cédric Sapin-Defour
Ski un jour, ski toujours
Qu’apporte la pratique du ski à votre vie ?
Le ski parvient à parer mon existence d’une épaisse légèreté, ces précieux oxymores qui donnent du sens à nos vies et les animent (au titre de les pourvoir d’une âme). Au retour d’une itinérance en ski, je me sens à la fois soustrait des bassesses éventuelles que la vie d’en bas pourrait charrier et doté d’une cuirasse pour aborder lucidement la suite. Oui, c’est cela le ski de montagne, un lieu de troc et de passe-passe. Et, puisque nous parlons des épaisseurs de l’être, le ski est également une mise à nu qui me défait de mes parades et de mes illusions : il me dit qui je suis. Précisément. C’est une chance d’avoir à ses côtés un tel révélateur.
Comment l’écriture naît-elle de vos sorties en montagne ?
Elle naît tout simplement de l’ardent désir de poursuivre la connexion avec les éléments heureux et nourriciers d’une sortie au grand air. Car arrive l’instant où il faut rentrer, s’ébrouer, laisser la neige au seuil de la porte, sécher les peaux, poser le sac et un peu de soi. Et je n’ai rien trouvé de mieux que l’écriture pour inviter les grands espaces à se joindre à moi, à la maison, et ainsi poursuivre nos échanges. Écrire, c’est s’offrir le luxe de revivre. De surcroît, dans sa générosité, l’écriture est aussi le plus élégant des prétextes pour reprendre la poudre d’escampette. Ce besoin, plus on le satisfait, plus il se développe. Alors s’installe ce balancier qui emplit une vie.
Quelle est votre relation à la nature quand vous êtes en montagne ?
C’est une partenaire avec qui j’ai une conversation équilibrée. Elle me fournit ou non son laisser-passer, je dois à l’être à l’écoute de ses signaux, de ses indices : ici des accumulations de neige, là des rafales de foehn, plus loin les nuances du soleil. Si je m’entête à ne pas les prendre en considération, elle me sermonne, parfois violemment. Ce n’est que cela parcourir la montagne en hiver, c’est prendre le pouls de la Terre, se rappeler simple vivant parmi les autres et se souvenir que la sensibilité aux éléments naturels est une pratique autrement plus intense que l’ambition du passage en force. C’est cela que m’a appris le mouvement en montagne : regarder autour de moi.
Une fois cette acuité acquise, on devient sensible à tout ce qui nous entoure, en montagne mais ailleurs aussi car il n’y a pas une nature sauvage, extraordinaire et une autre, ordinaire : il y a la nature qui mérite, entière, diverse, notre pugnacité à lui être sensible.
Le fait de skier en dehors des pistes damées vous satisfait-il pleinement ou engendre-t-il une frustration, un manque ou un besoin ?
Je ne porte aucun jugement sentencieux ou méprisant sur la pratique mécanique du ski mais elle n’est pas la mienne. Nous cohabitons parfois, souvent je la fuis. Je n’envisage pas le déplacement en montagne autrement que par le libre, simple et exigeant mouvement du corps, l’essence même du ski de montagne et ses charmes s’y perdraient, mais qui suis-je pour considérer ma trace moins asphyxiante et mon approche plus noble qu’une autre ? Dans l’aspiration qui est la mienne, intime, convaincue et opiniâtre, de construire une relation équilibrée avec la géographie des grands espaces, je trouve déloyal de me présenter à elle armé d’autres moteurs que mes mitochondries décidées. Qui sait, l’âge me convaincra-t-il du contraire?
Quel livre ou quel film vous donne irrésistiblement envie d’aller en montagne ?
Un programme télé. Il n’y a rien qui vous invite plus au grand air que le menu cathodique pour la semaine à venir. Car la seule hyperconnexion qui vaille, au-delà des écrans, est celle que j’entretiens avec les horizons et avec ce vent qui fait pleurer mes yeux.
?Et je vous écris cela, tapotant sur mon clavier, c’est vous dire mon haut niveau de cohérence !
Questions préparées par Agnès Guillemot
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