« Hors collection »

  • Dersou Ouzala
  • Tamir aux eaux limpides (La)
  • Julien, la communion du berger
  • Lettres aux arbres
  • 100 Vues du Japon (Les)
  • Légende des Pôles (La)
  • 100 Objets du Japon (Les)
  • Chemins de Halage
  • Vivre branchée
  • Solidream
  • Cap-Vert
  • Voyage en Italique
  • Esprit du chemin (L’)
  • Testament des glaces (Le)
  • Un rêve éveillé
  • Pouyak
  • Œuvres autobiographiques
  • Périple de Beauchesne à la Terre de Feu (1698-1701)
Couverture
Vieux-croyants et chercheurs d’or :

«  Au soir, je m’approchai de leur feu où je trouvai un vieil homme conversant avec Dersou. Ce qui m’étonna, c’était que le vieillard parlait à Dersou comme on parle à un ami de longue date. Ils évoquaient tels ou tels Chinois ou Tazas, dont certains par leurs noms.
J’interrogeai le vieux :
— Vous vous connaissez déjà, je présume ?
— Et comment ! répondit l’autre. Dersou, je le connais depuis un bail. Il était jeune encore quand on allait chasser ensemble. À l’époque, on vivait sur le Taopiho, au village de Pétropavlovka. On chassait sur le Woulaho, on poussait aussi jusqu’au Fouking et au Not’o.
Voilà qui raviva les souvenirs : comment on “chassait” les bois de renne, comment on tirait l’ours, on se rappela un Chinois qu’on appelait Dent-de-travers, des colons russes qu’on affublait de drôles de surnoms tels “Dragon vert” ou “Cloche-de-bois”. Celui-là avait un sale caractère ; celui-ci était bavard comme pa s deux. Le Golde renchérissait en riant aux éclats. Le vieux lui offrait miel et galettes. J’avais plaisir à voir combien Dersou était aimé.
Le vieux-croyant m’invita à m’asseoir près du feu, et nos langues se délièrent. Naturellement, la conversation tourna sur sa réinstallation en ce nouveau lieu.
— Avant, dit le vieux, on vivait sur l’Amour, au bord du lac Pétropavlovskoïé. Pourquoi ce nom ? Parce qu’on y était arrivés le jour de la Saint-Pierre et Saint-Paul. Mais on n’est pas restés longtemps : partout des marécages et de la bigaille… Alors on s’est installés sur le Taopiho. Là, on a fondé le village de Pétropavlovka. On y vivait bien, jusqu’au jour où la “soupe de neige” a débarqué.
— La soupe de neige ? Quelle soupe de neige ?
— Les nouveaux arrivants, répondit l’autre simplement, la raclure de l’Ukraine et de Saratov. Soldats réservistes de Vladivostok, tâcherons, j’en passe et des meilleures. La soupe de neige, qu’on appelle ça ici.
— Mais pourquoi les prendre en grippe ?
— Vois-tu, ça sème la débauche, l’ivrognerie, le chapardage, l’injure, la dispute, la flemme. Et encore, s’ils se volaient ou qu’ils se disputaient entre eux… Mais non, ils nous entraînent là-dedans. Il a fallu qu’on se plaigne aux juges de paix et de canton, ah ! misère. Jamais on ne s’était traînés jusqu’aux tribunaux. Alors les vieux, pour sortir d’une aussi mauvaise passe, ont eu l’idée de venir s’installer sur la rivière Soutseho. Il y a là-bas, en hauteur, une fanza appelée Yongpeiche. On y a pris nos quartiers. Batioukov le premier, puis les autres après lui. Le nouveau village aussi s’est appelé Yongpeiche. Quand le Bureau du repeuplement nous a ordonné de le rebaptiser en russe, on a choisi Batioukovo, d’après le nom du premier occupant. Là, sur le Soutseho, on a passé cinq belles années. Et puis vlan ! la soupe de neige s’est ramenée. L’administration nous a dit de les laisser vivre. Pour les laisser vivre, on les a laissé vivre, mais sans les aider non plus. À la fin, ce n’était plus tenable. On ne pouvait rien mettre au champ sans surveillance. Charrue volée, cheval enlevé, vache égorgée… Même le foin des meules, il était chapardé. En plus, avec tous ces gens, les feux de forêt ont commencé, le gibier a détalé. À cause de leurs barrages à nasses, on n’avait plus de poisson. Finalement, à bout de patience, on a décidé d’aller voir ailleurs. On a envoyé des éclaireurs vers le nord. Ils ont battu la côte de part en part et sont tombés en arrêt devant Djiguit. Et nous voilà.
Je demandai :
— Mais si les colons vous rattrapent ici ?
— Alors on ira plus loin. C’est pour ça qu’on ne bâtit pas de belles maisons. On sait d’avance qu’on ne tiendra pas plus de cinq ans au même endroit.
— Mais c’est ruinant d’aller comme ça d’un endroit à un autre.
— Non, pourquoi ? Nos maisons et tous nos biens, ce sont encore les colons qui nous les rachètent.
— Oui, mais il faut chaque fois défricher pour les labours. Ça coûte de la peine et de l’argent.
— Oh ! on ne laboure pas grand-chose pourvu qu’on ait assez de blé pour la fin de l’été. En revanche, loin des habitations, on peut chasser et trapper la zibeline. Et puis il y a d’autres façons de gagner sa vie.
— Lesquelles ?
— Ça dépend des récoltes. On vit plutôt bien dans ce pays quand on se tient loin des hommes. Libres espaces et vastes terres, du poisson en veux-tu en voilà, forêt et gibier à foison. Que demander de plus ? La seule chose, c’est qu’il faut se donner de la peine sans jamais paresser. Il suffit de regarder ce qu’il y a et ce qu’on peut en tirer. »
(p. 449-451)

La chasse aux sangliers (p. 62-64)
Blizzard sur le lac Khanka (p. 89-93)
Extrait court
© Transboréal : tous droits réservés, 2006-2024. Mentions légales.
Ce site, constamment enrichi par Émeric Fisset, développé par Pierre-Marie Aubertel,
a bénéficié du concours du Centre national du livre et du ministère de la Culture et de la Communication.