« Hors collection »

  • Dersou Ouzala
  • Tamir aux eaux limpides (La)
  • Julien, la communion du berger
  • Lettres aux arbres
  • 100 Vues du Japon (Les)
  • Légende des Pôles (La)
  • 100 Objets du Japon (Les)
  • Chemins de Halage
  • Vivre branchée
  • Solidream
  • Cap-Vert
  • Voyage en Italique
  • Esprit du chemin (L’)
  • Testament des glaces (Le)
  • Un rêve éveillé
  • Pouyak
  • Œuvres autobiographiques
  • Périple de Beauchesne à la Terre de Feu (1698-1701)
Couverture
La chasse aux sangliers :

«  Le gros sanglier se mouvait au centre de la harde. Beaucoup de ses congénères vagabondaient de-ci de-là, certains loin du groupe, et même quand la distance se creusait à l’extrême entre les solitaires et nous, le verrat restait hors de portée de fusil. Nous ne bougions pas. Soudain, l’un des sangliers leva le groin. Il mâchait quelque chose. Je revois encore sa grosse tête, ses oreilles à l’affût, ses yeux féroces, son boutoir nerveux, ses deux narines et ses défenses blanches. L’animal se pétrifia, cessa de manger et nous fixa de ses vilains yeux interrogateurs. Enfin, il comprit le danger et poussa un cri furieux. En un éclair, la harde détala avec force bruits et soufflements. Ce fut à cet instant que retentit le tir. Un cochon s’écroula.
Le fusil de Dersou fumait entre ses mains. Des branches craquèrent pendant quelques secondes encore dans la forêt, puis le calme revint.
Le sanglier qui habite dans l’Oussouri (Sus leucomystax continentalis Nehring) est une espèce proche du porc sauvage japonais. Il pèse jusqu’à 18 pouds et sa taille peut atteindre 7 pieds de longueur et 3,5 de hauteur. Son pelage présente une dominante brune, avec une échine et des pattes noires. Les marcassins portent toujours des rayures longitudinales. Le corps du sanglier est ovale, resserré aux flancs, monté sur quatre pattes robustes. Un cou court et puissant. Une tête en forme de pointe. Son museau se termine par un groin dur et mobile qui lui permet de fouir la terre. Le sanglier appartient à la famille des bunodontes, mais outre les molaires, les mâles sont armés de crocs pointus qui grandissent avec l’âge, courbés vers l’arrière, et s’allongent jusqu’à 8 pouces. Comme l’animal aime se frotter aux troncs des sapins, des cèdres et des mélèzes, son poil dru est souvent collé de résine. À la saison des froidures automnales, il se bauge dans la souille. Alors l’eau gèle à ses soies. Les glaçons s’épaississent jusqu’à former parfois une couche de glace telle qu’il se trouve entravé dans ses mouvements.
La zone de déploiement des cochons sauvages en Oussouri est étroitement liée au déploiement du cèdre, du noyer, du noisetier et du chêne. La frontière nord de la région part du cours inférieur du Hongari, coupe le cours moyen de l’Aniouï, le cours supérieur du Khor et la source du Bikin. De là, elle traverse les monts Sikhotè-Alin au nord vers le cap de la Dormition. On trouve des sangliers solitaires dans les vallées du Koppi, de la Khadia et du Toumnine. Cet animal est extrêmement mobile et fort. Il voit et entend merveilleusement et possède un bon odorat. Blessé, le sanglier devient très dangereux. Malheur au chasseur irréfléchi qui se hasarderait à pister une bête touchée. En pareil cas, l’animal se couche sur ses propres traces, la tête tournée vers son poursuivant sur lequel il se jette dès qu’il le voit, d’un bond si impétueux que l’autre n’a même pas le temps d’épauler pour tirer.
Le sanglier tué par le Golde était un ragot de 2 ans. Je demandai au vieil homme pourquoi il n’avait pas choisi un verrat.
— Lui gens trop vieux, dit-il du sanglier à grès. Lui mal mange, viande très très peu goût.
Que les sangliers fussent des “gens” pour Dersou me stupéfiait. Je l’interrogeai à ce sujet.
— Eux gens malgré tout, mais sous autre chemise. Eux comprend quand nous ruser, eux comprend quand nous fâchés, eux tout comprend ! Eux pareils à gens…
Je compris. Homme du monde primitif, Dersou posait un regard animiste sur les choses et, pour cette raison, prêtait une âme humaine à tout ce qu’il voyait.
Nous ne vîmes pas le jour décliner tant nous avions passé de temps sur la montagne. Les nuages amoncelés au ponant irradiaient des contours si lumineux qu’ils semblaient forgés d’un métal en fusion. Les rayons du soleil les perçaient puis, en éventail, se diffractaient dans le ciel.
Dersou dépeça le sanglier en un tournemain et le chargea sur ses épaules, puis nous prîmes le chemin du retour. Une heure plus tard, nous étions au bivouac.
Gêné par la promiscuité et la fumée des fanzas chinoises, je choisis de dormir à la belle étoile avec Dersou.
— Moi pense, dit-il en levant les yeux vers le ciel, nuit chaude, demain soir pluie !…
Je fus long à m’endormir. Toute la nuit durant, j’eus la vision d’un groin de sanglier aux narines dilatées. Je ne voyais rien d’autre que ces narines. Elles m’apparaissaient comme de petits trous qui, soudain, s’agrandissaient. Ce n’était plus une tête de sanglier, mais une montagne, et les narines étaient des grottes avec, à l’intérieur de ces grottes, d’autres sangliers aux groins percés de narines.
Quelle chose étrange que le cerveau humain… Sur les mille impressions que l’on recueille dans la journée, sur la multitude de phénomènes et d’objets que le regard croise, on ne retient qu’une seule chose, souvent dérisoire, voire secondaire ou fortuite. Je garde de certains lieux où rien ne m’est arrivé un souvenir plus marquant que d’autres où, pourtant, quelque chose s’est passé. Et ma mémoire, mystérieusement, fixe un arbre ordinaire, une fourmilière, une feuille jaunie, un échantillon de mousse… Ainsi me semble-t-il que je pourrais les dessiner avec force détails. »
(p. 62-64)

Blizzard sur le lac Khanka (p. 89-93)
Vieux-croyants et chercheurs d’or (p. 449-451)
Extrait court
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