Non-préparatifs :
« “Alors, la suite ?”, “Dis-moi comment tu as vécu ça”, “C’est passionnant, d’avoir conçu et réalisé un tel projet”, auraient pu me dire bien plus tard des amis me conseillant d’en faire le récit – si tant est que je leur en eusse parlé. J’étais le premier à me dire que je le ferais, mais plus tard ; je voulais d’abord laisser mes souvenirs se cristalliser ou s’effriter.
Écrire, rassembler et relier les éléments scénographiques d’un film intérieur? Mais quels détails choisir ? Quels petits faits éluder, hypocritement, par oubli ? Quelles traces, quelles archives peut-on retrouver de soi-même sans risquer d’inventer plutôt que d’inventorier, quand les pièces à conviction font défaut ? Fallait-il me livrer tardivement à une introspection usant de concepts et de mots qui n’étaient pas les miens à l’époque ? Allais-je m’attribuer des réactions et des sentiments dont mon esprit aurait fatalement opéré une synthèse réductrice, dont mon métabolisme aurait compacté les strates ? Que et sur quoi me faudrait-il compter ?
Raconter, recompter?
Le vieil homme souhaiterait ne rien dire parce qu’il ne se souvient que trop de tout ce qui laisse des cicatrices plutôt que des sensations. L’écrivain aimerait tout raconter parce qu’il ne se souvient de rien, sauf du sens des mots. Quant à moi, un demi-siècle après, l’époque est bien choisie pour raconter : je commence à me souvenir de moins en moins. »
Arrivée (p. 27-28)
Tonneaux de poudre (p. 97-99)
Extrait court
« “Alors, la suite ?”, “Dis-moi comment tu as vécu ça”, “C’est passionnant, d’avoir conçu et réalisé un tel projet”, auraient pu me dire bien plus tard des amis me conseillant d’en faire le récit – si tant est que je leur en eusse parlé. J’étais le premier à me dire que je le ferais, mais plus tard ; je voulais d’abord laisser mes souvenirs se cristalliser ou s’effriter.
Écrire, rassembler et relier les éléments scénographiques d’un film intérieur? Mais quels détails choisir ? Quels petits faits éluder, hypocritement, par oubli ? Quelles traces, quelles archives peut-on retrouver de soi-même sans risquer d’inventer plutôt que d’inventorier, quand les pièces à conviction font défaut ? Fallait-il me livrer tardivement à une introspection usant de concepts et de mots qui n’étaient pas les miens à l’époque ? Allais-je m’attribuer des réactions et des sentiments dont mon esprit aurait fatalement opéré une synthèse réductrice, dont mon métabolisme aurait compacté les strates ? Que et sur quoi me faudrait-il compter ?
Raconter, recompter?
Le vieil homme souhaiterait ne rien dire parce qu’il ne se souvient que trop de tout ce qui laisse des cicatrices plutôt que des sensations. L’écrivain aimerait tout raconter parce qu’il ne se souvient de rien, sauf du sens des mots. Quant à moi, un demi-siècle après, l’époque est bien choisie pour raconter : je commence à me souvenir de moins en moins. »
(p. 20-21)
Arrivée (p. 27-28)
Tonneaux de poudre (p. 97-99)
Extrait court