Du Baïkal à Vladivostok :
« C’est alors que je fais la connaissance d’Andreï, de Macha et de leurs deux enfants. Andreï et Macha sont tombés amoureux dès leur première rencontre en 1990. Elle a quitté Irkoutsk pour vivre auprès de lui, tour à tour pêcheur, mécanicien et capitaine sur un bateau de pêche. Depuis 1998, il travaille au port, dans une usine à poisson ; il regrette son premier travail, son bateau, vendu, et ses équipiers ; ces derniers se sont reconvertis dans la pêche privée, le bâtiment ou le tourisme. La souffrance de cet homme aux mains fortes est manifeste.
Je découvre leur maison, construite par Andreï en 1986. Depuis, il en a construit trois autres sur le même terrain, ainsi qu’un bania. Tout est réalisé avec amour : des frises sur le rebord des toits et des fenêtres, un soleil sculpté sur la façade, des marguerites multicolores plantées dans le sol et un cheval de bois dans la cour, qu’il a fabriqué pour son fils.
— Certains ont choisi de boire de la vodka, moi je travaille le bois, dit-il. Je ne pense plus à rien, ça me repose? Mon rêve serait d’avoir un jour mon propre atelier.
Le plus important dans la vie ?
— Que les enfants grandissent bien. J’essaie de leur inculquer la bonté. Quand il y a la bonté, tout le reste suit : l’honnêteté, la responsabilité? L’amour ! la tendresse ! la compassion ! renchérit Macha, amusée.
Dans ma chambre en pin clair, je trouve un bouquet de fleurs sauvages : des sayanki rouge vif, des marguerites, des violettes et d’autres fleurs odorantes dans un bocal à tomates qui porte encore son étiquette de 20 roubles. De la fenêtre, j’aperçois le champ de pommes de terre, avec deux mille plants. Il y a aussi des légumes – choux, carottes, salades, tomates, concombres – et des animaux domestiques – la vache Marta et Mila, son jeune veau, un mouton, un cochon qui répond au prénom de Fritz, des lapins et des poules bavardes. Tout ce petit monde est nécessaire à la survie sur cette île éloignée de tout.
Il n’y a pas d’électricité, sauf de 20 heures à minuit, quatre heures par jour, grâce à un générateur. L’eau est distribuée par camion-citerne deux fois par semaine. Un jeune homme déroule un tuyau à travers un orifice ménagé dans la clôture et l’enfonce dans chacun des quatre barils. Nous apprenons à utiliser l’eau avec parcimonie, pour le linge, la vaisselle et la toilette au bania. Ils ne s’en plaignent pas. “Nous vivons !” Le plus important est fait : “Construire une maison, planter un arbre et faire un fils.” Pour Andreï, comme pour la plupart des insulaires, la vie n’a pas changé en mieux depuis des années. Il n’a pas d’illusions sur le pouvoir.
— Khapougui, des rapaces, dit-il d’un ton courroucé. Tôt ou tard leur maison s’écroulera, car elle a été construite avec de l’argent volé, peste-t-il en tirant une bouffée de cigarette.
— Que ressens-tu en “mer Baïkal” ?
Son visage s’illumine.
— J’ai l’impression qu’elle respire, qu’elle est vivante !
Vers minuit, la nuit noire nous enveloppe. Je me retire. Je peine à trouver le sommeil. Je sors dans le jardin silencieux, avance à petits pas parmi les plants de pommes de terre, caressés par une lumière pâle. Je lève lentement la tête. Au-dessus de moi brillent des milliards d’étoiles, serrées les unes contre les autres, de tous les côtés de la voûte céleste. Jamais je n’avais assisté à un spectacle aussi poétique : les constellations de l’univers, réunies dans un éclat éblouissant et intouchable.
À Olkhon, terre natale des Bouriates, parfumée au thym et au romarin, aux rochers majestueux, aux milliers de rares edelweiss, le voyageur découvre une énergie surprenante, liée d’après les riverains à l’esprit du Baïkal – Doukh Baïkala. Le calme est saisissant, pas un seul bruit de moteur n’est perceptible et, sur des kilomètres et des kilomètres, il n’y a aucune habitation. Les oiseaux sont les seigneurs : mouettes, mésanges, hirondelles? Ici, on vénère les quatre éléments – l’eau, la terre, le feu, l’air. La lune et le soleil aussi. Tout incite à une communion totale et absolue avec la nature. Noués aux troncs des arbres, des bouts de tissu multicolores portent les souhaits, les espoirs et les prières de la population locale. »
Prélude à l’aventure (p. 29-32)
Épilogue (p. 315-319)
Extrait court
« C’est alors que je fais la connaissance d’Andreï, de Macha et de leurs deux enfants. Andreï et Macha sont tombés amoureux dès leur première rencontre en 1990. Elle a quitté Irkoutsk pour vivre auprès de lui, tour à tour pêcheur, mécanicien et capitaine sur un bateau de pêche. Depuis 1998, il travaille au port, dans une usine à poisson ; il regrette son premier travail, son bateau, vendu, et ses équipiers ; ces derniers se sont reconvertis dans la pêche privée, le bâtiment ou le tourisme. La souffrance de cet homme aux mains fortes est manifeste.
Je découvre leur maison, construite par Andreï en 1986. Depuis, il en a construit trois autres sur le même terrain, ainsi qu’un bania. Tout est réalisé avec amour : des frises sur le rebord des toits et des fenêtres, un soleil sculpté sur la façade, des marguerites multicolores plantées dans le sol et un cheval de bois dans la cour, qu’il a fabriqué pour son fils.
— Certains ont choisi de boire de la vodka, moi je travaille le bois, dit-il. Je ne pense plus à rien, ça me repose? Mon rêve serait d’avoir un jour mon propre atelier.
Le plus important dans la vie ?
— Que les enfants grandissent bien. J’essaie de leur inculquer la bonté. Quand il y a la bonté, tout le reste suit : l’honnêteté, la responsabilité? L’amour ! la tendresse ! la compassion ! renchérit Macha, amusée.
Dans ma chambre en pin clair, je trouve un bouquet de fleurs sauvages : des sayanki rouge vif, des marguerites, des violettes et d’autres fleurs odorantes dans un bocal à tomates qui porte encore son étiquette de 20 roubles. De la fenêtre, j’aperçois le champ de pommes de terre, avec deux mille plants. Il y a aussi des légumes – choux, carottes, salades, tomates, concombres – et des animaux domestiques – la vache Marta et Mila, son jeune veau, un mouton, un cochon qui répond au prénom de Fritz, des lapins et des poules bavardes. Tout ce petit monde est nécessaire à la survie sur cette île éloignée de tout.
Il n’y a pas d’électricité, sauf de 20 heures à minuit, quatre heures par jour, grâce à un générateur. L’eau est distribuée par camion-citerne deux fois par semaine. Un jeune homme déroule un tuyau à travers un orifice ménagé dans la clôture et l’enfonce dans chacun des quatre barils. Nous apprenons à utiliser l’eau avec parcimonie, pour le linge, la vaisselle et la toilette au bania. Ils ne s’en plaignent pas. “Nous vivons !” Le plus important est fait : “Construire une maison, planter un arbre et faire un fils.” Pour Andreï, comme pour la plupart des insulaires, la vie n’a pas changé en mieux depuis des années. Il n’a pas d’illusions sur le pouvoir.
— Khapougui, des rapaces, dit-il d’un ton courroucé. Tôt ou tard leur maison s’écroulera, car elle a été construite avec de l’argent volé, peste-t-il en tirant une bouffée de cigarette.
— Que ressens-tu en “mer Baïkal” ?
Son visage s’illumine.
— J’ai l’impression qu’elle respire, qu’elle est vivante !
Vers minuit, la nuit noire nous enveloppe. Je me retire. Je peine à trouver le sommeil. Je sors dans le jardin silencieux, avance à petits pas parmi les plants de pommes de terre, caressés par une lumière pâle. Je lève lentement la tête. Au-dessus de moi brillent des milliards d’étoiles, serrées les unes contre les autres, de tous les côtés de la voûte céleste. Jamais je n’avais assisté à un spectacle aussi poétique : les constellations de l’univers, réunies dans un éclat éblouissant et intouchable.
À Olkhon, terre natale des Bouriates, parfumée au thym et au romarin, aux rochers majestueux, aux milliers de rares edelweiss, le voyageur découvre une énergie surprenante, liée d’après les riverains à l’esprit du Baïkal – Doukh Baïkala. Le calme est saisissant, pas un seul bruit de moteur n’est perceptible et, sur des kilomètres et des kilomètres, il n’y a aucune habitation. Les oiseaux sont les seigneurs : mouettes, mésanges, hirondelles? Ici, on vénère les quatre éléments – l’eau, la terre, le feu, l’air. La lune et le soleil aussi. Tout incite à une communion totale et absolue avec la nature. Noués aux troncs des arbres, des bouts de tissu multicolores portent les souhaits, les espoirs et les prières de la population locale. »
(p. 187-190)
Prélude à l’aventure (p. 29-32)
Épilogue (p. 315-319)
Extrait court