
Le charme marocain :
« Même s’il avait fallu faire un grand détour, les mômes n’auraient manqué sous aucun prétexte ce rendez-vous avec les “marchands de Fès”. Phonétiquement, l’expression les fait mourir de rire, et je n’ose me représenter l’image qu’ils se font de cet étal de postérieurs plus ou moins potelés. Sait-on jamais, peut-être trouverons-nous ici un service massage-réparation, fort utile après toutes ces heures passées sur nos selles ?
Une fois dans le quartier des tanneurs, l’odeur tenace des cuves remplies de sel, de fientes de pigeon et d’ammoniac nous donne des haut-le-cœur. Cette mixture sert à éliminer la chair et les poils des cuirs qui sont ensuite mis à égoutter. Des forçats, jambes nues et silhouettes acérées, s’immergent dans des baptistères aux mille couleurs, plongeant et ressortant de lourdes peaux assouplies et teintées. Indigo, rouge puissant, jaune safran, noir de suie, marron roux ou vert menthe, la palette est éblouissante. Observer ce spectacle millénaire depuis les toits-terrasses nous plonge dans une hébétude respectueuse. La médina, vibrante de vie, forme comme un amphithéâtre cubique autour de ces bassins multicolores.
Notre guide Hussein, natif et amoureux des lieux, ne se lasse pas de répéter que nous sommes entrés dans “la plus grande, la plus ancienne et la plus belle médina du monde : c’est la plus belle parce qu’on y vit encore, parce que les savoir-faire ancestraux des artisans y ont été préservés”, précise-t-il fièrement.
Dans les ruelles, les tapis, broderies, pièces d’argenterie, étoffes, épices et plantes séchées ravissent nos yeux, flattent nos narines. Chaque boutique est un univers spécifique, une caverne d’Ali Baba aux mille et une couleurs. Alors que nous hésitons à entrer, le propriétaire annonce malicieusement : “La visite, c’est gratuit? jusqu’à la caisse !” Nous pénétrons alors chez le marchand de tapis, dans l’échoppe du ferronnier d’art, nous découvrons la pharmacopée traditionnelle de l’apothicaire. Dans le caravansérail du tisserand, une cascade de tissus, artistiquement agencés, plonge du deuxième étage jusque dans une vaste cour intérieure. Confortablement installés sur de belles banquettes brodées, nous écoutons le vendeur et son acolyte présenter une panoplie de tentures : “Juste pour information, Madame, laquelle est votre préférée ?”
Le marchand est habile et sa technique bien rodée. Ces artistes de la relation client nous amusent avec leurs expressions toutes faites : “Aujourd’hui, c’est moins cher que pas cher !” ; “De la grande qualité, la crème de la crème”? Ils commencent par vanter le savoir-faire artisanal, avec démonstration de l’artisan en plein ouvrage. Le geste est admirable, la qualité incomparable, qui justifie le prix. Viennent ensuite l’argumentaire domestique pour séduire Madame, une plaisanterie pour faire rire les enfants. »
L’ami de Saint Exupéry (p. 168-170)
La marche dans le désert (p. 189-191)
Extrait court
« Même s’il avait fallu faire un grand détour, les mômes n’auraient manqué sous aucun prétexte ce rendez-vous avec les “marchands de Fès”. Phonétiquement, l’expression les fait mourir de rire, et je n’ose me représenter l’image qu’ils se font de cet étal de postérieurs plus ou moins potelés. Sait-on jamais, peut-être trouverons-nous ici un service massage-réparation, fort utile après toutes ces heures passées sur nos selles ?
Une fois dans le quartier des tanneurs, l’odeur tenace des cuves remplies de sel, de fientes de pigeon et d’ammoniac nous donne des haut-le-cœur. Cette mixture sert à éliminer la chair et les poils des cuirs qui sont ensuite mis à égoutter. Des forçats, jambes nues et silhouettes acérées, s’immergent dans des baptistères aux mille couleurs, plongeant et ressortant de lourdes peaux assouplies et teintées. Indigo, rouge puissant, jaune safran, noir de suie, marron roux ou vert menthe, la palette est éblouissante. Observer ce spectacle millénaire depuis les toits-terrasses nous plonge dans une hébétude respectueuse. La médina, vibrante de vie, forme comme un amphithéâtre cubique autour de ces bassins multicolores.
Notre guide Hussein, natif et amoureux des lieux, ne se lasse pas de répéter que nous sommes entrés dans “la plus grande, la plus ancienne et la plus belle médina du monde : c’est la plus belle parce qu’on y vit encore, parce que les savoir-faire ancestraux des artisans y ont été préservés”, précise-t-il fièrement.
Dans les ruelles, les tapis, broderies, pièces d’argenterie, étoffes, épices et plantes séchées ravissent nos yeux, flattent nos narines. Chaque boutique est un univers spécifique, une caverne d’Ali Baba aux mille et une couleurs. Alors que nous hésitons à entrer, le propriétaire annonce malicieusement : “La visite, c’est gratuit? jusqu’à la caisse !” Nous pénétrons alors chez le marchand de tapis, dans l’échoppe du ferronnier d’art, nous découvrons la pharmacopée traditionnelle de l’apothicaire. Dans le caravansérail du tisserand, une cascade de tissus, artistiquement agencés, plonge du deuxième étage jusque dans une vaste cour intérieure. Confortablement installés sur de belles banquettes brodées, nous écoutons le vendeur et son acolyte présenter une panoplie de tentures : “Juste pour information, Madame, laquelle est votre préférée ?”
Le marchand est habile et sa technique bien rodée. Ces artistes de la relation client nous amusent avec leurs expressions toutes faites : “Aujourd’hui, c’est moins cher que pas cher !” ; “De la grande qualité, la crème de la crème”? Ils commencent par vanter le savoir-faire artisanal, avec démonstration de l’artisan en plein ouvrage. Le geste est admirable, la qualité incomparable, qui justifie le prix. Viennent ensuite l’argumentaire domestique pour séduire Madame, une plaisanterie pour faire rire les enfants. »
(p. 118-119)
L’ami de Saint Exupéry (p. 168-170)
La marche dans le désert (p. 189-191)
Extrait court