La traque :
« C’est étrange, à travers la lunette son visage paraît plus fatigué qu’il y a quelques jours. Sa barbe a poussé, et je ne pensais pas qu’il aurait tant de poils roux. Il porte bien les cernes, ça lui fait des binocles charbonneux qui mettent en valeur ses beaux yeux bleus excités.
Il m’a fallu du temps pour m’approcher de lui, mais ça y est. Enfin. Je vois même sa bouteille d’eau en plastique posée sur le rebord du mirador. Ses doigts se crispent sur la crosse de la carabine, et je voudrais lui dire de souffler un peu, parce que, respirer, on ne sait jamais quand cela peut s’arrêter. Sur son front, une GoPro tremblote. Immuables caméras, affligeantes vigies de nos platitudes quotidiennes ; les gens savent si peu ce qu’ils font qu’ils ont besoin d’images pour vérifier qu’ils n’ont pas rêvé. C’est surtout pour le retour à la civilisation que l’onéreux accessoire est important : la séquence gonflera d’autant le récit fait aux vieux chums d’enfance venus écouter les dernières aventures de l’homme des bois.
Cinq jours à attendre que passe un orignal ! J’avoue que le bonhomme a de la volonté. Contrairement à d’autres guignols qui font semblant, lui a vraiment l’air de souffrir. Les mouches à chevreuil et les maringouins se disputent pour savoir qui aura le dernier morceau de son visage pas encore dévoré, et j’avoue que le voir obligé de rester immobile est comique. Il ne peut faire le moindre geste pour se débarrasser des importuns sous peine de donner l’alerte à sa proie qui se tient juste en face, à quelques mètres de distance. Je sais qu’il attend qu’elle se mette de profil pour lui tirer dans les poumons ; c’est le coup parfait qu’il a appris au stand de tir et qu’il est bien décidé à pratiquer dans la réalité. On verra combien la bête pourra courir de distance avec la balle qu’il lui prépare, voilà ce qu’il doit se dire, fort de son arme et sûr de sa puissance.
Il pleut. Le poitrail de l’animal fume comme un sauna, et ses naseaux expulsent une vapeur blanche. Si le chasseur regardait dans ma direction, il verrait une face barbouillée de boue et barrée par une rangée de dents qui lui sourit. »
Les étrangers (p. 69-70)
Le voilier (p. 113-115)
Extrait court
« C’est étrange, à travers la lunette son visage paraît plus fatigué qu’il y a quelques jours. Sa barbe a poussé, et je ne pensais pas qu’il aurait tant de poils roux. Il porte bien les cernes, ça lui fait des binocles charbonneux qui mettent en valeur ses beaux yeux bleus excités.
Il m’a fallu du temps pour m’approcher de lui, mais ça y est. Enfin. Je vois même sa bouteille d’eau en plastique posée sur le rebord du mirador. Ses doigts se crispent sur la crosse de la carabine, et je voudrais lui dire de souffler un peu, parce que, respirer, on ne sait jamais quand cela peut s’arrêter. Sur son front, une GoPro tremblote. Immuables caméras, affligeantes vigies de nos platitudes quotidiennes ; les gens savent si peu ce qu’ils font qu’ils ont besoin d’images pour vérifier qu’ils n’ont pas rêvé. C’est surtout pour le retour à la civilisation que l’onéreux accessoire est important : la séquence gonflera d’autant le récit fait aux vieux chums d’enfance venus écouter les dernières aventures de l’homme des bois.
Cinq jours à attendre que passe un orignal ! J’avoue que le bonhomme a de la volonté. Contrairement à d’autres guignols qui font semblant, lui a vraiment l’air de souffrir. Les mouches à chevreuil et les maringouins se disputent pour savoir qui aura le dernier morceau de son visage pas encore dévoré, et j’avoue que le voir obligé de rester immobile est comique. Il ne peut faire le moindre geste pour se débarrasser des importuns sous peine de donner l’alerte à sa proie qui se tient juste en face, à quelques mètres de distance. Je sais qu’il attend qu’elle se mette de profil pour lui tirer dans les poumons ; c’est le coup parfait qu’il a appris au stand de tir et qu’il est bien décidé à pratiquer dans la réalité. On verra combien la bête pourra courir de distance avec la balle qu’il lui prépare, voilà ce qu’il doit se dire, fort de son arme et sûr de sa puissance.
Il pleut. Le poitrail de l’animal fume comme un sauna, et ses naseaux expulsent une vapeur blanche. Si le chasseur regardait dans ma direction, il verrait une face barbouillée de boue et barrée par une rangée de dents qui lui sourit. »
(p. 95-96)
Les étrangers (p. 69-70)
Le voilier (p. 113-115)
Extrait court