Les étrangers :
« Iroquoisie, 1649
Les esprits ont parlé et le conseil a tranché. Alors je passe mon couteau sur la pierre encore et encore. Je presse la gourde en peau de caribou pour humecter la lame, et reprends ma besogne patiemment. Tout doit être parfait pour que le geste soit le plus sûr et le plus vif possible. Un beau scalp demande une bonne lame. J’en passe le fil sur la peau de mes joues, racle le plat de pouce pour m’assurer de son tranchant : des lambeaux de peau se détachent et tombent sur mes mocassins. Je lève les yeux vers le ciel : un rapace va bientôt fondre sur un rat d’eau. Avant de s’abattre, il va siffler une fois et le rat n’aura pas le temps de plonger dans le lac. Le piqué est parfait, imparable, et je vois les serres de l’aigle broyer les os du rongeur. Le sang perle de la fourrure brune. Sur une branche, à coups de bec, l’oiseau commence à piquer et dépecer la chair.
Dans quelques jours, nous ferons la même chose et fondrons sur nos ennemis et les punirons par des châtiments exemplaires. Il est temps de montrer aux hommes blancs qu’ils ne nous impressionnent plus. Ils doivent comprendre ce qu’il en coûte de venir nous prendre nos territoires, voler nos peaux et passer des accords avec les Hurons, ces fillettes qui ne méritent plus le nom d’Indiens depuis qu’ils ont vu des bâtons cracher le feu et se sont rangés derrière ceux qui les tenaient sans vraiment savoir ce que cela coûterait. Nous aussi, nous avons trouvé des bâtons qui crient comme le tonnerre, grâce à d’autres Blancs qui vivent plus au sud, mais qui eux nous laissent en paix. Avec ces armes, nous allons renvoyer nos ennemis sur le fleuve par où ils sont venus. Il ne fallait pas nous proposer de nous unir en un seul peuple pour ne pas honorer ses engagements par la suite. Un jour, un grand chef blanc, Champlain, avait presque convaincu mon père qu’il serait de notre intérêt de créer une seule nation entre les Indiens et les Français de la Nouvelle-France. Il proposait des métis comme terreau de notre pays. Le soir où il rentra des pourparlers, mon père en avait parlé à ma mère. Elle avait ri, d’un rire de chacal et les yeux enflammés.
— Es-tu devenu fou ? Comment as-tu pu penser que nous, les Haudenosaunee, pouvions mêler notre sang à celui des Blancs ? Des sanguinaires qui massacrent nos castors, et nous empêchent de vendre nos peaux. Des êtres qui coupent les arbres pour barrer le chemin et empêcher de voir. Des gens qui souillent la nature, vivent dans des maisons qui n’accueillent qu’une seule famille, fabriquent des machines pour déchirer le sol et y enfouir des graines jusqu’alors inconnues chez nous. Des démons qui n’adorent qu’un dieu et frappent leurs femmes sans qu’elles puissent répliquer. Quoi, c’est avec ces barbares que tu veux partager nos terres ? Et puis qui nous dit qu’ils veulent vraiment partager ? »
La traque (p. 95-96)
Le voilier (p. 113-115)
Extrait court
« Iroquoisie, 1649
Les esprits ont parlé et le conseil a tranché. Alors je passe mon couteau sur la pierre encore et encore. Je presse la gourde en peau de caribou pour humecter la lame, et reprends ma besogne patiemment. Tout doit être parfait pour que le geste soit le plus sûr et le plus vif possible. Un beau scalp demande une bonne lame. J’en passe le fil sur la peau de mes joues, racle le plat de pouce pour m’assurer de son tranchant : des lambeaux de peau se détachent et tombent sur mes mocassins. Je lève les yeux vers le ciel : un rapace va bientôt fondre sur un rat d’eau. Avant de s’abattre, il va siffler une fois et le rat n’aura pas le temps de plonger dans le lac. Le piqué est parfait, imparable, et je vois les serres de l’aigle broyer les os du rongeur. Le sang perle de la fourrure brune. Sur une branche, à coups de bec, l’oiseau commence à piquer et dépecer la chair.
Dans quelques jours, nous ferons la même chose et fondrons sur nos ennemis et les punirons par des châtiments exemplaires. Il est temps de montrer aux hommes blancs qu’ils ne nous impressionnent plus. Ils doivent comprendre ce qu’il en coûte de venir nous prendre nos territoires, voler nos peaux et passer des accords avec les Hurons, ces fillettes qui ne méritent plus le nom d’Indiens depuis qu’ils ont vu des bâtons cracher le feu et se sont rangés derrière ceux qui les tenaient sans vraiment savoir ce que cela coûterait. Nous aussi, nous avons trouvé des bâtons qui crient comme le tonnerre, grâce à d’autres Blancs qui vivent plus au sud, mais qui eux nous laissent en paix. Avec ces armes, nous allons renvoyer nos ennemis sur le fleuve par où ils sont venus. Il ne fallait pas nous proposer de nous unir en un seul peuple pour ne pas honorer ses engagements par la suite. Un jour, un grand chef blanc, Champlain, avait presque convaincu mon père qu’il serait de notre intérêt de créer une seule nation entre les Indiens et les Français de la Nouvelle-France. Il proposait des métis comme terreau de notre pays. Le soir où il rentra des pourparlers, mon père en avait parlé à ma mère. Elle avait ri, d’un rire de chacal et les yeux enflammés.
— Es-tu devenu fou ? Comment as-tu pu penser que nous, les Haudenosaunee, pouvions mêler notre sang à celui des Blancs ? Des sanguinaires qui massacrent nos castors, et nous empêchent de vendre nos peaux. Des êtres qui coupent les arbres pour barrer le chemin et empêcher de voir. Des gens qui souillent la nature, vivent dans des maisons qui n’accueillent qu’une seule famille, fabriquent des machines pour déchirer le sol et y enfouir des graines jusqu’alors inconnues chez nous. Des démons qui n’adorent qu’un dieu et frappent leurs femmes sans qu’elles puissent répliquer. Quoi, c’est avec ces barbares que tu veux partager nos terres ? Et puis qui nous dit qu’ils veulent vraiment partager ? »
(p. 69-70)
La traque (p. 95-96)
Le voilier (p. 113-115)
Extrait court