Collection « Voyage en poche »

  • Par le souffle de Sayat-Nova
  • Yamabushi
  • La Seine en roue libre
  • Jours blancs dans le Hardanger
  • Au nom de Magellan
  • Faussaire du Caire (Le)
  • Ivre de steppes
  • Condor et la Momie (Le)
  • Retour à Kyôto
  • Dolomites
  • Consentement d’Alexandre (Le)
  • Une yourte sinon rien
  • La Loire en roue libre
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Au vent des Kerguelen
  • Centaure de l’Arctique (Le)
  • La nuit commence au cap Horn
  • Bons baisers du Baïkal
  • Nanda Devi
  • Confidences cubaines
  • Pyrénées
  • Seule sur le Transsibérien
  • Dans les bras de la Volga
  • Tempête sur l’Aconcagua
  • Évadé de la mer Blanche (L’)
  • Dans la roue du petit prince
  • Girandulata
  • Aborigènes
  • Amours
  • Grande Traversée des Alpes (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Vers Compostelle
  • Pour tout l’or de la forêt
  • Intime Arabie
  • Voleur de mémoire (Le)
  • Une histoire belge
  • Plus Petit des grands voyages (Le)
  • Souvenez-vous du Gelé
  • Nos amours parisiennes
  • Exploration spirituelle de l’Inde (L’)
  • Ernest Hemingway
  • Nomade du Grand Nord
  • Kaliméra
  • Nostalgie du Mékong
  • Invitation à la sieste (L’)
  • Corse
  • Robert Louis Stevenson
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Sagesse de l’herbe
  • Pianiste d’Éthiopie (Le)
  • Exploration de la Sibérie (L’)
  • Une Parisienne dans l’Himalaya
  • Voyage en Mongolie et au Tibet
  • Madère
  • Ambiance Kinshasa
  • Passage du Mékong au Tonkin
  • Sept sultans et un rajah
  • Ermitages d’un jour
  • Unghalak
  • Pèlerin d’Occident
  • Chaos khmer
  • Un parfum de mousson
  • Qat, honneur et volupté
  • Exploration de l’Australie (L’)
  • Pèlerin d’Orient
  • Cette petite île s’appelle Mozambique
  • Des déserts aux prisons d’Orient
  • Dans l’ombre de Gengis Khan
  • Opéra alpin (L’)
  • Révélation dans la taïga
  • Voyage à la mer polaire
Couverture
Un passant du clair de lune :

« L’Italie, c’est un peu la même chose : un rêve qui court du pont du Garigliano aux sérénades napolitaines, du château Saint-Ange où se joue le drame de la Tosca de Puccini à Fiesole où se sont retranchés les conteurs du Décaméron de Boccace pour fuir la peste de Florence, des flancs du Vésuve où s’est réfugié Spartacus à la douce lumière de Toscane, des ruines de Pompéi aux amours romantiques de la Graziella de Lamartine. Rome, Naples et Florence, avait résumé Stendhal. Un pays qui n’est pas une nation et que l’on conquiert avec le panache de Bonaparte au pont d’Arcole.
Et puis Rome, le Siège de Pierre, tête de l’Église. Rome : je n’y suis jamais allé.
— Pas possible ! s’exclamèrent mes amis quand je leur parlai de mon projet. Tu as voyagé jusqu’au bout du monde et tu ne connais pas Rome !
— À 43 ans ?
— Justement : n’est-ce pas une chance inouïe de découvrir Rome à cet âge ? de n’avoir encore usé ses yeux sur aucun des chefs-d’œuvre de la Ville éternelle ? Je donnerais tant pour pouvoir assister aux Noces de Figaro pour la première fois !
L’italien, je l’ai appris en lisant les livrets d’opéra. Un engouement né à 20 ans qui m’a fait courir les scènes parisiennes. Étudiant fauché, j’ai attendu des heures innombrables sur les marches du palais Garnier pour obtenir les places bon marché qui s’arrachaient deux semaines avant la représentation. Il fallait arriver vers 7 heures, parfois 5 heures ou avant – de préférence avant le premier métro. Si l’on était parmi les premiers, on repartait peu après 11 heures du matin, les traits tirés, avec une place au poulailler pour une centaine de francs ou dans un fond de loge de côté où l’on voyait convenablement à condition de passer la soirée debout. De Monteverdi à Janácek, en passant par Glück et Wagner, mais surtout les opéras italiens de Haendel et Mozart, Rossini, Bellini, Verdi, Puccini? En ce temps-là, l’Opéra de Paris proposait un abonnement “habillé” – tenue de soirée de rigueur – et le diktat populaire ne lui avait pas encore imposé les surtitrages. Alors, pour tromper l’ennui et préparer le spectacle, je lisais les livrets en version bilingue sur les marches du palais.
À force d’écumer les files d’attente à Garnier, au Châtelet, au théâtre des Champs-Élysées, on retrouve à chaque fois le même noyau de passionnés, du jeune musicien ébouriffé à la petite vieille venue avec son pliant et sa Thermos de café. On s’échange les plans et les rumeurs sur les dernières divas.
— Vous n’avez pas encore vu Così au Châtelet ? Une Fiordiligi merveilleuse?
— Et moi, je suis allée la semaine dernière à Milan pour Lucia. Elle était passable, mais le ténor, épouvantable !
Personne n’aurait eu l’idée de parler de Così fan tutte ou de Lucia di Lamermoor.
— Il faut absolument assister aux spectacles représentés aux arènes de Vérone. Aïda, par exemple. L’ambiance, les mamma italiennes qui s’installent avec le pique-nique, les gradins illuminés à la bougie, et puis le chant? J’essaie de m’y rendre chaque année.
Un soir d’hiver, j’arrive à 20 heures sur le parvis de l’Opéra : une nuit entière dehors en perspective, à grelotter dans l’espoir d’entendre Pavarotti dans L’Élixir d’amour de Donizetti. À l’aube, plusieurs centaines de personnes partagent la même interrogation : “Viendra, viendra pas ?”
Le ténor est connu pour ses défections de dernière minute. Alors, attendre quinze heures pour un remplaçant ? Le soir venu, le roi des ténors est bien sur scène. Quelques minutes avant le lever du rideau, Renata Tebaldi, l’éternelle rivale de la Callas, est apparue dans la loge d’honneur, suscitant une ovation reconnaissante et admirative. L’Élixir d’amour, ce n’est pas de la grande musique. En vérité, il n’y a dans cet opéra qu’un air : Una furtiva lagrima. Mais quel air, chanté par une telle voix ! Pavarotti triomphe, déchaînant un tonnerre de vivats. Et ce soir-là, essuyant une seconde fois la larme furtive, il bissa son air, cadeau rarissime en cours de spectacle.
Pour moi, l’Italie, c’est aussi cela : pas seulement l’amore, mais la représentation permanente, le charme et ce cabotinage sans vergogne de Pavarotti qui emporte le cœur du public devant la légendaire Tebaldi et le détourne d’elle : “L’opéra, aujourd’hui, c’est moi !”
Un pays violent où les peintres ne se contentent pas de leur atelier, où le Caravage passait plus de temps dans les tavernes mal famées que devant ses toiles et dut se résoudre à l’exil pour avoir tué un homme au cours d’une rixe. Un pays où les carabiniers arrivent toujours en retard et où les mauvaises langues prétendent reconnaître les chars d’assaut à leur unique marche avant et leurs quatre marches arrière. Si les carabiniers ont du retard, les Italiens ne s’en plaignent pas toujours, car les bandits bénéficient d’une étrange bienveillance de leur part. Ils infestaient la campagne et les forêts à l’époque où les Romantiques mirent à la mode le Voyage en Italie.
J’ai feuilleté un “Guide bleu” des années 1930 avant de partir. Austère et truffé de vers de Virgile ou d’Horace, de plaidoiries de Cicéron et de citations de Pline et de Tite-Live. Depuis Madame de Staël jusqu’aux années 1950, chacun y reconnaissait sans peine les versions latines sur lesquelles il avait transpiré à l’école. Parcourir l’Italie, c’était revisiter son enfance. Aujourd’hui, les classiques ont disparu pour laisser la place à des photos en quadrichromie.
La découverte de l’Antiquité in situ, les trésors artistiques et la poésie des ruines exaltée par Goethe, Chateaubriand et leurs successeurs, la nécessité d’achever le Grand Tour comme on pouvait “faire ses humanités”, voilà aussi ce qui m’attire vers ce pays troussé comme une botte de spadassin. »
(p. 18-22)

Vénus et la Thébaïde (p. 190-195)
Le phare du bout du monde (p. 310-315)
Extrait court
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