
À Gondar :
« Accoudé à sa fenêtre au deuxième étage de l’hôtel, Arnaud observait la rue multicolore. Les façades aux murs droits et sans grâce se succédaient dans un hasard de couleurs. Un ruban de terre caillouteuse servait de caniveau autant que de trottoir. C’était une rue banale, forcément triste sous la pluie. Éclairée d’un rayon de soleil, elle avait un air simple et heureux de gaîté populaire. Un vieil homme était assis sur le pas d’une porte, emmitouflé dans son châle blanc et sa canne posée sur le sol. Il lisait un livre, indifférent à ce qui l’entourait. Arnaud perçut le son léger d’un trottinement. Un âne s’avançait, rentrant peut-être d’une longue journée de travail. Il allait, la tête baissée et le pas régulier. Son maître suivait derrière. Avec son pantalon de grosse toile bleue, une couverture verte jetée sur ses épaules et le plastique jaune de ses sandales, il était aussi multicolore que la rue qu’il remontait. De la bête ou de lui, il était difficile de savoir qui menait l’autre dans cette promenade. Et Netsa, où allait-il à cette heure-ci. Marchait-il, lui aussi, dans une rue, une ville ? Où pouvait-il être ? Arnaud n’avait aucun indice et Amareche non plus. Quelqu’un devait bien savoir, pourtant. Mais qui ? Un homme, jeune, vêtu d’un blouson de cuir, sortit d’un magasin à la façade bleue et s’adossa au mur. Une jeune femme le frôla et échangea quelques mots avec lui avant d’entrer dans la boutique. Arnaud la suivit du regard pendant qu’elle disparaissait, et il songea à la chanson d’Emawayish.
“Quand on contemple son cou, ses seins, sa taille,
Elle tue en souriant. Ne croyez pas qu’elle soit femme !”
Il pensa à Amareche et eut envie de la contempler, elle aussi. Son cou, ses seins, sa taille. Tout était merveilleux en elle. Il savait la finesse de sa taille. Il devinait la fermeté de ses seins, imaginait la perfection de? Il se contraignit à revenir à la réalité. Même s’il était à Gondar, les zar ne s’empareraient pas de son esprit. L’Afrique fantôme était loin, et la belle Amareche n’avait pas Malkam Ayyahou, la vieille sorcière envoûtée, pour mère.
La veille, ils auraient bien, à nouveau, visité l’église de Debre Berhan Selassie, mais il valait mieux venir le matin, pour la lumière. Alors ils s’étaient contentés de flâner à l’ombre des grands arbres parsemant le jardin. Puis ils avaient été se promener dans les ruines de Qusquam après avoir garé la voiture non loin de ces pauvres cahutes recouvertes de chaume accueillant tout un peuple de séminaristes juvéniles. Sur un terrain pentu à deux pas du palais où, en des temps plus lointains, la belle Mentewab avait déployé son charme et ses intrigues de cour, de jeunes garçons assis au pied des arbres lisaient des livres saints qu’ils tenaient haut devant leurs yeux, enveloppés dans des châles. Dans l’enclos du palais, ce qu’il restait du bâtiment des banquets en imposait encore avec ses étages et ses ouvertures aux arcades finement sculptées. Les ruines de l’édifice étaient autrement plus majestueuses que les quelques pans de mur subsistant du logis de la reine. Ils avaient déambulé parmi les vestiges et les ronces faisant, le temps d’une promenade, d’un carré d’herbes folles et de pierres éparses un coin de paradis dans le soleil couchant. Laissant l’ami absent à la porte du jardin, ils parlèrent d’eux-mêmes, de ces quatre années passées et, peut-être, du futur. Ils étaient seuls. Rares étaient les visiteurs qui faisaient le détour par ce jardin enchanté. Parfois, Arnaud s’éloignait un peu pour escalader une ruine, prendre une photo, ou pour le plaisir de revenir ensuite vers la jeune femme. Alors, il lui reprenait cette main qu’il avait lâchée un instant et, côte à côte, ils poursuivaient leur balade et leurs conversations. À la fin, cependant, elle s’était tournée vers lui et, sérieuse, avait dit :
— C’est drôle, moi aussi j’ai parfois le sentiment que je n’ai pas le droit de t’aimer.
— C’est peut-être parce que tu l’aimes vraiment et qu’au fond de toi tu sais qu’il reviendra, lui avait-il répondu.
— Et pourtant, depuis ton retour, je me dis que je tiens terriblement à toi.
Il avait regardé sa peau ambrée, ses pommettes un peu hautes et ses yeux magnifiques. Il avait maudit son ami, l’avait envoyé au diable et s’en était repenti. »
La disparition de Netsa (p. 84-87)
Face à Lucy (p. 317-321)
Extrait court
« Accoudé à sa fenêtre au deuxième étage de l’hôtel, Arnaud observait la rue multicolore. Les façades aux murs droits et sans grâce se succédaient dans un hasard de couleurs. Un ruban de terre caillouteuse servait de caniveau autant que de trottoir. C’était une rue banale, forcément triste sous la pluie. Éclairée d’un rayon de soleil, elle avait un air simple et heureux de gaîté populaire. Un vieil homme était assis sur le pas d’une porte, emmitouflé dans son châle blanc et sa canne posée sur le sol. Il lisait un livre, indifférent à ce qui l’entourait. Arnaud perçut le son léger d’un trottinement. Un âne s’avançait, rentrant peut-être d’une longue journée de travail. Il allait, la tête baissée et le pas régulier. Son maître suivait derrière. Avec son pantalon de grosse toile bleue, une couverture verte jetée sur ses épaules et le plastique jaune de ses sandales, il était aussi multicolore que la rue qu’il remontait. De la bête ou de lui, il était difficile de savoir qui menait l’autre dans cette promenade. Et Netsa, où allait-il à cette heure-ci. Marchait-il, lui aussi, dans une rue, une ville ? Où pouvait-il être ? Arnaud n’avait aucun indice et Amareche non plus. Quelqu’un devait bien savoir, pourtant. Mais qui ? Un homme, jeune, vêtu d’un blouson de cuir, sortit d’un magasin à la façade bleue et s’adossa au mur. Une jeune femme le frôla et échangea quelques mots avec lui avant d’entrer dans la boutique. Arnaud la suivit du regard pendant qu’elle disparaissait, et il songea à la chanson d’Emawayish.
“Quand on contemple son cou, ses seins, sa taille,
Elle tue en souriant. Ne croyez pas qu’elle soit femme !”
Il pensa à Amareche et eut envie de la contempler, elle aussi. Son cou, ses seins, sa taille. Tout était merveilleux en elle. Il savait la finesse de sa taille. Il devinait la fermeté de ses seins, imaginait la perfection de? Il se contraignit à revenir à la réalité. Même s’il était à Gondar, les zar ne s’empareraient pas de son esprit. L’Afrique fantôme était loin, et la belle Amareche n’avait pas Malkam Ayyahou, la vieille sorcière envoûtée, pour mère.
La veille, ils auraient bien, à nouveau, visité l’église de Debre Berhan Selassie, mais il valait mieux venir le matin, pour la lumière. Alors ils s’étaient contentés de flâner à l’ombre des grands arbres parsemant le jardin. Puis ils avaient été se promener dans les ruines de Qusquam après avoir garé la voiture non loin de ces pauvres cahutes recouvertes de chaume accueillant tout un peuple de séminaristes juvéniles. Sur un terrain pentu à deux pas du palais où, en des temps plus lointains, la belle Mentewab avait déployé son charme et ses intrigues de cour, de jeunes garçons assis au pied des arbres lisaient des livres saints qu’ils tenaient haut devant leurs yeux, enveloppés dans des châles. Dans l’enclos du palais, ce qu’il restait du bâtiment des banquets en imposait encore avec ses étages et ses ouvertures aux arcades finement sculptées. Les ruines de l’édifice étaient autrement plus majestueuses que les quelques pans de mur subsistant du logis de la reine. Ils avaient déambulé parmi les vestiges et les ronces faisant, le temps d’une promenade, d’un carré d’herbes folles et de pierres éparses un coin de paradis dans le soleil couchant. Laissant l’ami absent à la porte du jardin, ils parlèrent d’eux-mêmes, de ces quatre années passées et, peut-être, du futur. Ils étaient seuls. Rares étaient les visiteurs qui faisaient le détour par ce jardin enchanté. Parfois, Arnaud s’éloignait un peu pour escalader une ruine, prendre une photo, ou pour le plaisir de revenir ensuite vers la jeune femme. Alors, il lui reprenait cette main qu’il avait lâchée un instant et, côte à côte, ils poursuivaient leur balade et leurs conversations. À la fin, cependant, elle s’était tournée vers lui et, sérieuse, avait dit :
— C’est drôle, moi aussi j’ai parfois le sentiment que je n’ai pas le droit de t’aimer.
— C’est peut-être parce que tu l’aimes vraiment et qu’au fond de toi tu sais qu’il reviendra, lui avait-il répondu.
— Et pourtant, depuis ton retour, je me dis que je tiens terriblement à toi.
Il avait regardé sa peau ambrée, ses pommettes un peu hautes et ses yeux magnifiques. Il avait maudit son ami, l’avait envoyé au diable et s’en était repenti. »
(p. 264-267)
La disparition de Netsa (p. 84-87)
Face à Lucy (p. 317-321)
Extrait court