Voyage meurtrier :
« Il va falloir jouer serré. Pour éviter ces fils de truie de flics chinois, même les 270 000 kilomètres carrés du Taklamakan – “d’où l’on ne ressort jamais” – ne suffisent plus. Nurgul serre les poings. Jadis, ses ancêtres étaient les maîtres de la province autonome du Xinjiang peuplée à l’origine par les Ouïgours. En un siècle, la marée jaune est venue mettre un terme à cette hégémonie turcophone et musulmane pour la remplacer par des petits hommes inquiets qui crachent à longueur de journée. Quand ils ne travaillent pas comme des bêtes de somme, ils regardent une télévision grotesque. Continuellement, ils nous méprisent. Parfois, ils nous tapent dessus. Souvent, nous subissons des brimades à répétition. Sur le sol de ce plateau uniforme qui baigne dans une atmosphère blanche suintant un air collant et gras, Nurgul tente de cracher son mépris. Mais rien ne sort. C’est con : 2 000 dollars en beaux billets dans la poche, un faux passeport et des lunettes de soleil Gucci, mais pas une bouteille d’eau à moins de 50 kilomètres. À pied, c’est exclu, et puis “il” ne devrait plus tarder maintenant. Un énième contrôle au faciès aux abords de la ville qui se serait éternisé, voilà sans doute pourquoi personne n’est encore venu le récupérer. Floc ! Le sac de toile noir atterrit à ses pieds dans un bruit sec. Nurgul regarde à droite, puis à gauche, soulève sa chaussure et en dévisse le talon creusé. Il en sort un minuscule Coran dont il ânonne les premières sourates, assis dans la poussière en se balançant légèrement d’avant en arrière.
Il ne l’a même pas entendu arriver. Tout occupé à ses psalmodies, Nurgul s’est rendu compte qu’il n’était plus seul quand une paire de Nike surmontée d’une djellaba sombre est venue se planter sous ses yeux. Yusupbeg, l’ogre passeur. C’est dans le coffre de la voiture de ce monstre que Nurgul va entrer au cœur de la Chine. Il faudra d’abord traverser le Xinjiang jusqu’à Hotan, puis ce sera Xining, dans la province du Qinghai. Ils s’arrêteront quelques heures pour dormir et mettront le cap vers le Yunnan et sa capitale, Kunming, immense cité aux marches du Tibet. On lui donnera les dernières consignes et les contacts essentiels au bon déroulement de son séjour. Il se rasera de frais, arborera une tenue plus conventionnelle puis s’envolera pour Bangkok en Thaïlande. C’est au cœur de cette terre de mécréants qu’il devra s’acquitter de la mission que lui a confiée Allah, saint est Son nom. Le coffre se referme violemment sur la main de Nurgul qui implorait à son cerbère une bouteille d’eau ou un soda. Le chapeau de l’auriculaire est resté dehors. Le sang coule. Première blessure, début du martyre. Faute de flotte, suce ton doigt. »
Exil en panique (p. 31-33)
Raz-de-marée (p. 57-58)
Extrait court
« Il va falloir jouer serré. Pour éviter ces fils de truie de flics chinois, même les 270 000 kilomètres carrés du Taklamakan – “d’où l’on ne ressort jamais” – ne suffisent plus. Nurgul serre les poings. Jadis, ses ancêtres étaient les maîtres de la province autonome du Xinjiang peuplée à l’origine par les Ouïgours. En un siècle, la marée jaune est venue mettre un terme à cette hégémonie turcophone et musulmane pour la remplacer par des petits hommes inquiets qui crachent à longueur de journée. Quand ils ne travaillent pas comme des bêtes de somme, ils regardent une télévision grotesque. Continuellement, ils nous méprisent. Parfois, ils nous tapent dessus. Souvent, nous subissons des brimades à répétition. Sur le sol de ce plateau uniforme qui baigne dans une atmosphère blanche suintant un air collant et gras, Nurgul tente de cracher son mépris. Mais rien ne sort. C’est con : 2 000 dollars en beaux billets dans la poche, un faux passeport et des lunettes de soleil Gucci, mais pas une bouteille d’eau à moins de 50 kilomètres. À pied, c’est exclu, et puis “il” ne devrait plus tarder maintenant. Un énième contrôle au faciès aux abords de la ville qui se serait éternisé, voilà sans doute pourquoi personne n’est encore venu le récupérer. Floc ! Le sac de toile noir atterrit à ses pieds dans un bruit sec. Nurgul regarde à droite, puis à gauche, soulève sa chaussure et en dévisse le talon creusé. Il en sort un minuscule Coran dont il ânonne les premières sourates, assis dans la poussière en se balançant légèrement d’avant en arrière.
Il ne l’a même pas entendu arriver. Tout occupé à ses psalmodies, Nurgul s’est rendu compte qu’il n’était plus seul quand une paire de Nike surmontée d’une djellaba sombre est venue se planter sous ses yeux. Yusupbeg, l’ogre passeur. C’est dans le coffre de la voiture de ce monstre que Nurgul va entrer au cœur de la Chine. Il faudra d’abord traverser le Xinjiang jusqu’à Hotan, puis ce sera Xining, dans la province du Qinghai. Ils s’arrêteront quelques heures pour dormir et mettront le cap vers le Yunnan et sa capitale, Kunming, immense cité aux marches du Tibet. On lui donnera les dernières consignes et les contacts essentiels au bon déroulement de son séjour. Il se rasera de frais, arborera une tenue plus conventionnelle puis s’envolera pour Bangkok en Thaïlande. C’est au cœur de cette terre de mécréants qu’il devra s’acquitter de la mission que lui a confiée Allah, saint est Son nom. Le coffre se referme violemment sur la main de Nurgul qui implorait à son cerbère une bouteille d’eau ou un soda. Le chapeau de l’auriculaire est resté dehors. Le sang coule. Première blessure, début du martyre. Faute de flotte, suce ton doigt. »
(p. 86-87)
Exil en panique (p. 31-33)
Raz-de-marée (p. 57-58)
Extrait court