Fournier Doniol, www.babelio.com, le 10 avril 2018 :
? L’ouvrage de Saint-Loup, écrivain maudit, est fascinant, comme lui-même est fasciné par le détroit de Magellan, où il disparaîtra d’ailleurs lors d’une expédition avec son voilier le Catalina. Il nous conte dans un style superbe l’histoire de ces peuplades de la Terre de Feu décimées, non par la dureté des conditions de vie et du climat mais par le prosélytisme d’un pasteur. Un livre difficile à trouver mais dont la lecture est à la fois instructive, quant à la pensée unique d’aujourd’hui, poignant quant à l’histoire qu’il narre et aux paysages “liquides” qu’il décrit. À rapprocher du livre de Jean Raspail Qui se souvient des hommes ? »
Johanna Nobili, Carnets d’aventures n° 42, janvier-mars 2016 :
? Voyageur ayant vécu jusqu’en 1990, Saint-Loup est l’auteur de nombreux romans et récits historiques. Cet ouvrage évoque cinquante années de tentative d’évangélisation des peuples de la Terre de Feu, Yahgans, Alakalufs et Onas, dans la seconde moitié du XIXe siècle.
À travers la vie sacrificielle d’un pasteur écossais qui se donne corps et âme à l’œuvre d’évangélisation, cette fiction fondée sur de nombreux faits historiques nous en apprend davantage sur ces peuples “sauvages” et sur leur triste disparition, vaincus par l’orgueil et les maladies des chrétiens “civilisés”.
Une fois n’est pas coutume, je cite une phrase de la quatrième de couverture de l’ouvrage tant elle semble juste et à propos : “Puissante réflexion sur l’héroïsme et le sens du sacrifice, ce roman épique enrichi d’éléments ethnographiques ne décrit pas seulement l’agonie des tribus fuégiennes : au-delà du bien et du mal, il pose la question du progrès, de l’universalisme et de la colonisation, et réévalue la notion même de civilisation.”
Un ouvrage très prenant, tant par son côté romanesque que ses dimensions historiques et ethnographiques, et les réflexions qu’elles soulèvent. »
Gaëlle Marty, L’Amour des livres n° 124, mars 2015 :
? Voyageur, historien, alpiniste et aviateur, skieur en Laponie, motard chevronné et guerrier en Ukraine, Saint-Loup signe l’un de ses meilleurs romans, qui faillit être couronné par le Goncourt en 1953. Y mêlant aventure et ethnographie, il entraîne un lecteur passionné dans le sillage du pasteur Duncan MacIsaac, missionnaire méthodiste écossais venu convertir les Indiens de la Terre de Feu, au XIXe siècle. En oubliant les valeurs et la culture de ces âmes qu’il est venu “sauver”, il va détruire plusieurs tribus. Un puissant réquisitoire contre le colonialisme, mené par une plume de maître. »
Jean Mabire, Europe-Action n° 35, novembre 1965 :
? En 1953, j’ai brutalement senti, en tournant les pages de La nuit commence au cap Horn, la morsure du sel, le sifflement du vent, et ce vertige de la solitude dans le grand silence blanc, quand rien ne semble survivre à l’interminable crépuscule polaire. Voici un de ces livres inoubliables qui nous entraînent à jamais dans un autre univers. Et cet univers est le nôtre, à des milliers et des milliers de kilomètres de nos rivages tempérés. Chassés de nos rues et de nos plages par les petits intellectuels fragiles, par leur vice pauvre, par leur amour immodéré des prolétaires et du whisky, par leur snobisme social, nous ne savions plus dans quel exil se trouvaient les vrais écrivains. André Malraux ne faisait plus dialoguer que le silence et Montherlant se masquait de bronze romain. Il nous restait le scoutisme littéraire de Brasillach et de Saint Exupéry. Parfois, nous suivions les hussards dans leurs chevauchées mais ils n’avaient pas le souffle des cavaliers du Hedjaz et de l’Arizona. Pour respirer l’air du large, nous nous réfugions au cinéma.
Et puis il y eut Saint-Loup. Quel ouragan ! C’est d’abord ce que j’ai vu dans ce livre : un souffle qui venait d’un autre monde, à l’autre bout de la terre. Et ce monde était notre monde, celui de la volonté de puissance et de l’esprit de sacrifice, celui des hommes qui choisissent leur aventure et se donnent jusqu’à la mort à un héros qu’ils portent au fond de leur cœur et qui n’a pas d’autre nom qu’eux-mêmes. Le bouquin de Saint-Loup tranchait dans l’arbre mort de la littérature comme une hache.
Il ne s’agissait plus de juger cet homme selon les règles habituelles de la critique. Enfin nous étions au-delà de l’écriture, dans une aube incertaine où allait se lever un jour déchirant. En lisant La nuit commence au cap Horn, nous avions l’impression de remonter à la surface, vers la lumière et le soleil, comme ces plongeurs qui lentement surgissent des ténèbres marines. Je ne devais pas être le seul à me faire emporter par ce livre. Les spécialistes eux-mêmes avaient le souffle coupé. Et c’est la course aux prix?
Francis Carco lance le bouquin sur la table des Goncourt. Très vite, il gagne la moitié des voix. Colette téléphone même au directeur littéraire des éditions Plon pour lui dire que c’était gagné et que La nuit commence au cap Horn serait le prix Goncourt 1953.
Mais Le Figaro Littéraire (et Immobilier) publie un écho révélant que Saint-Loup n’est autre que Marc Augier, ancien animateur des Auberges de jeunesse, rédacteur en chef de La Gerbe de Châteaubriant, combattant volontaire du front de l’Est et condamné à mort par contumace. Un policier s’en va recopier le dossier au Tribunal militaire et le communique à Roland Dorgelès : et le prix Goncourt est attribué à Pierre Gascar pour Les Bêtes.
Douze ans plus tard, personne ne songe plus à ce lauréat de circonstance. Les Presses de la Cité par contre viennent de faire reparaître La nuit commence au cap Horn. Le livre de Saint-Loup ne sera certes pas repêché pour le Goncourt 1965. Mais il va avoir des dizaines de milliers de lecteurs. En tirant sur sa pipe, Saint-Loup évoque cette année 1948 où il profita de son poste de conseiller technique des questions de montagne dans l’armée argentine pour partir à la découverte du Chili austral :
“Chez les Pères salésiens de Magellan, j’ai compris pourquoi les peuplades indigènes avaient disparu : on avait voulu les faire vivre dans un cadre qui n’était pas le leur. C’était un véritable génocide. Les missionnaires qui avaient évangélisé ces tribus avaient voulu transgresser la loi qui fait les hommes différents.”
Il se lève, me montre les photographies de montagnes balayées par le vent :
“On ne triche pas avec la loi du 55e parallèle Sud. La véritable liberté, c’est de respecter la nature. Vouloir déformer les pays et les hommes est le pire des crimes.
— Et votre livre ?
— Je l’ai écrit pendant l’hiver de 1950-1951 en Italie, à Courmayeur. Il neigeait presque tous les jours. Je n’avais pas quitté le cap Horn?”
Ce roman écrit après tant d’aventures, c’est du meilleur Saint-Loup. On devine à chaque page l’homme d’action. Aviateur qui a cassé du bois et motocycliste qui a dévoré des kilomètres, skieur en Laponie et guerrier en Ukraine, alpiniste, explorateur, cavalier. Un homme tout d’une pièce, écrivain, montagnard, historien, voyageur. Et, avec lui, nous suivons, pas à pas et jour par jour, le pasteur Duncan MacIsaac. Il y a cent ans ce missionnaire méthodiste va tenter l’impossible en voulant convertir au christianisme les Indiens de la Terre de Feu. Il veut nier le réel, oubliant que les hommes sont déterminés par leur race avant de l’être par leur religion. Et en voulant sauver les âmes, il va détruire plusieurs tribus. Ce roman est le plus grand réquisitoire contre le colonialisme? »