Collection « Voyage en poche »

  • Stabat Mater
  • Les Dentelles noires de l’Etna
  • Nakorsaq
  • São Tomé-et-Príncipe
  • Jón l’Islandais
  • Par le souffle de Sayat-Nova
  • Yamabushi
  • La Seine en roue libre
  • Jours blancs dans le Hardanger
  • Au nom de Magellan
  • Faussaire du Caire (Le)
  • Ivre de steppes
  • Condor et la Momie (Le)
  • Retour à Kyôto
  • Dolomites
  • Consentement d’Alexandre (Le)
  • Une yourte sinon rien
  • La Loire en roue libre
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Au vent des Kerguelen
  • Centaure de l’Arctique (Le)
  • La nuit commence au cap Horn
  • Bons baisers du Baïkal
  • Nanda Devi
  • Confidences cubaines
  • Pyrénées
  • Seule sur le Transsibérien
  • Dans les bras de la Volga
  • Tempête sur l’Aconcagua
  • Évadé de la mer Blanche (L’)
  • Dans la roue du petit prince
  • Girandulata
  • Aborigènes
  • Amours
  • Grande Traversée des Alpes (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Vers Compostelle
  • Pour tout l’or de la forêt
  • Intime Arabie
  • Voleur de mémoire (Le)
  • Une histoire belge
  • Plus Petit des grands voyages (Le)
  • Souvenez-vous du Gelé
  • Nos amours parisiennes
  • Exploration spirituelle de l’Inde (L’)
  • Ernest Hemingway
  • Nomade du Grand Nord
  • Kaliméra
  • Nostalgie du Mékong
  • Invitation à la sieste (L’)
  • Corse
  • Robert Louis Stevenson
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Sagesse de l’herbe
  • Pianiste d’Éthiopie (Le)
  • Exploration de la Sibérie (L’)
  • Une Parisienne dans l’Himalaya
  • Voyage en Mongolie et au Tibet
  • Madère
  • Ambiance Kinshasa
  • Passage du Mékong au Tonkin
  • Sept sultans et un rajah
  • Ermitages d’un jour
  • Unghalak
  • Pèlerin d’Occident
  • Chaos khmer
  • Un parfum de mousson
  • Qat, honneur et volupté
  • Exploration de l’Australie (L’)
  • Pèlerin d’Orient
  • Cette petite île s’appelle Mozambique
  • Des déserts aux prisons d’Orient
  • Dans l’ombre de Gengis Khan
  • Opéra alpin (L’)
  • Révélation dans la taïga
  • Voyage à la mer polaire
Couverture
Des runes éloquentes :

« Brusquement, le voile opaque se déchira. La côte apparut, baignée de soleil. La glace de mer étincelait, aveuglait presque. On observait une terre brune, pierreuse, montagneuse. Jón avait les yeux humides. La terre de ses aïeux. La terre qui l’avait vu naître et où, peut-être, son père vivait encore.

Jón avait été remarqué comme un homme habile et dur à la peine, et il fit partie du groupe de marins choisis pour reconnaître le rivage. Il embarqua sur le canot, en compagnie d’un officier et de quelques matelots.
Seuls les coups de rame réguliers perturbaient le silence des lieux. La grève rocailleuse se rapprochait. Bientôt, le bois de la barque crissa sur les galets. Jón mit pied à terre le premier. Sa main serrait la dent d’ours blanc qu’on lui avait offerte, jadis, à Bristol.
Il foula le sol du Groenland, huma son odeur, but à l’eau du torrent. Il ne vit nulle trace d’âme qui vive.

Le ciel se couvrit et le courant amena de la glace dans le fjord où étaient mouillés les navires. Le vent s’établit au sud.
Jón fut convoqué sur l’Esmeralda, par Gaspar Corte-Real lui-même. Impressionné, il entra dans la cabine où l’attendait le capitaine. Celui-ci soignait moins son apparence que dans les rues d’Angra, où il arborait fréquemment un admirable pourpoint noir à haut col. Sur un bateau, il s’habillait presque comme un simple marin.
— Tu es islandais, n’est-ce pas ? demanda Gaspar Corte-Real sans préambule. On m’a dit que tu es le neveu de Simão Olafes, d’Angra. As-tu déjà entendu parler de cette terre glacée que nous avons atteinte ?
— Oui, capitaine, répondit Jón. C’est le Groenland.
Jón sentit qu’il devait parler avec circonspection. Gaspar Corte-Real marcha de long en large dans sa cabine exiguë.
— Les Islandais connaissent beaucoup de choses sur les terres du couchant. Sais-tu s’il existe un passage, parmi ces terres, qui permet de les traverser et de rejoindre la mer libre ?
Jón comprit que les Portugais cherchaient un passage vers les Indes. Ils n’avaient donc pas pour ambition de coloniser le Groenland. Imprudemment, il lâcha :
— Les terres que les Islandais ont découvertes font une suite continue de côtes, jusqu’au Vinland.
Gaspar Corte-Real s’emporta :
— Jeune prétentieux, mesure tes paroles ! Je pourrais facilement te faire emprisonner comme espion du roi du Danemark ! Les terres du couchant ne s’appellent ni “Groenland” ni “Vinland”, mais “Lavrador” et “terre de Corte-Real” !
Dans sa colère, le capitaine avait lâché le mot “Lavrador”. C’était le surnom de son rival João Fernandes. De plus en plus, aux Açores, on appelait ainsi les pays situés au nord de la Terre de Corte-Real, en référence à celui à qui on attribuait leur découverte. La fureur du capitaine s’accrut d’avoir dû nommer son concurrent, juste pour convaincre son jeune interlocuteur des droits du Portugal. Même s’il ne croyait guère que cet Islandais, qui semblait si imbu des prétendus exploits de ses ancêtres, pût coopérer avec l’occupant danois, il était résolu à le punir. Il manda l’un de ses officiers.
— Ramenez ce jeune impertinent à bord de la Joana et faites-le mettre à fond de cale jusqu’à la nouvelle lune.
Les deux caravelles durent changer sans cesse de mouillage, sous la menace des glaces qui s’accumulaient dans le fjord. Plusieurs fois ils crurent perdre un bateau, tant la pression exercée sur les coques était forte.
Le courroux de Gaspar Corte-Real s’était apaisé. Il avait décidé de renommer ce pays, pour faire oublier l’antériorité du voyage de João Fernandes et les droits qui pourraient en découler. Il n’était pas sans connaître le toponyme utilisé par les peuples du Nord. “Groenland” ne signifiait-il pas “Terre verte” ? Le Lavrador deviendrait la “Terra Verde”, découverte par Gaspar Corte-Real en l’an de grâce 1500.
Quoique l’on n’aperçût que de maigres prairies et bosquets au-delà du rivage, le nom lui parut attrayant, et il remercia en son for intérieur le matelot islandais de le lui avoir suggéré. Les bateaux étant en difficulté, il se décida à le faire libérer et, en chef pragmatique, il le prit à bord de l’Esmeralda, afin de profiter de son expérience du Nord. Ce fut l’occasion pour Jón de retrouver Diogo. Il apprit que Gaspar Corte-Real avait renommé le pays. Le capitaine avait simplement traduit le nom donné par Eiríkur le Rouge cinq siècles auparavant, comme s’il n’y avait aucun risque d’attirer l’attention sur l’antériorité de la présence des Nordiques sur cette terre.
Il n’y eut pas d’autre sortie à terre, car la seule préoccupation des Portugais était de trouver une solution pour sortir de cet abri si inconfortable. Jón savait mieux que quiconque lire les signes de la glace. Habitué aux règles qui régissaient la vie d’un fjord, il avait repéré à quelle logique obéissaient les mouvements de la banquise, selon le vent, la marée, la configuration du rivage et du relief. Pressé par son capitaine de donner son avis, Jón désigna une échancrure entre deux rochers, qu’il avait repérée lors de la sortie sur le canot. La légère houle qui l’animait indiquait un passage vers la mer ouverte. Il était orienté, au moins dans sa première partie, vers l’ouest, ce qui éviterait de louvoyer contre le vent de sud.
— Je pense que le meilleur moment, c’est une heure après la pleine mer, avait-il conclu.

La flottille avait ainsi été délivrée du fjord et l’on mit le cap au sud-ouest. Jón n’en retira aucun profit ; Gaspar Corte-Real le fit renvoyer sur la Joana et ne lui témoigna plus que de l’indifférence. Les officiers, imbus de leur pouvoir et dont la compétence avait implicitement été dépréciée par l’intervention de Jón, le regardaient d’un mauvais œil. Ils savaient qu’au fur et à mesure que l’on gagnerait au sud, on aurait de moins en moins besoin des aptitudes de ce jeune étranger.
Une fois passé le coup de vent subi peu après la sortie du fjord, ils le soumirent à diverses tracasseries. Il était facile pour un maître d’équipage de mettre au pas un matelot, en lui affectant les tâches habituellement dévolues à un mousse. Cependant, Jón encaissa les brimades, prit sur lui et resta discret. Peu à peu, on le laissa de nouveau tranquille. »
(p. 463-468)

Naviguer à l’estime (p. 133-137)
La « saga des groenlandais Â» (p. 288-292)
Extrait court
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