
Du lac Léman à la forêt de la Guerliaz :
« Saint-Gingolph, drôle de nom pour un départ. Je crois n’avoir jamais croisé de Gingolph, mais il a bien dû en exister au moins un. D’après la passion du saint, datée de la fin du IXe ou du début du Xe siècle, Gingolph se serait fait assassiner par sa femme aux mœurs particulièrement légères. Le peuple se serait ainsi mis à le vénérer comme le martyr de la fidélité conjugale. Gingolph, le saint patron des cocus. Je pars sous de bons auspices.
Le sentier s’élève très rapidement et quitte, tout aussi promptement, les bords du lac et son village. On dit souvent que la Corse, c’est la montagne dans la mer, le Léman, lui, c’est un peu la mer dans la montagne. Le littoral est loin désormais, et le chemin s’enfonce doucement le long de la frontière suisse avant d’entamer franchement les hostilités. Une montée assez sèche, de 900 mètres, vers le col de Bise et ses promesses alpines. Je m’en rends bien compte lors de cette première grimpette, les marmottes sortent tout amaigries de l’hiver, nous au contraire, on en sort gras, patauds. Notre hiver à nous, il fait grossir. Même si je n’ai pas cette obnubilation de la jeunesse pour le corps parfait, même si je n’ai qu’une modeste ambition dans ce domaine, je me convaincs qu’une petite traversée des Alpes à pied ne peut pas faire de mal pour se remettre d’aplomb avant la saison estivale.
Les névés sont encore bien présents en ce début de printemps, après un hiver exceptionnellement rigoureux cette année. Cela ajoute à la poésie des lieux, la nature qui se réveille à peine et qui n’a pas encore complètement enlevé ses coquetteries blanches. Le décor contraste parfaitement avec l’agitation urbaine et les vicissitudes d’une vie de médecin citadin, et je tente sans effort d’accéder aux vertus aristocratiques de cet ennui supérieur que Julien Gracq situe, dans son Rivage des Syrtes, “entre lecture des poètes et promenades solitaires dans la campagne”.
Après plusieurs heures d’efforts, le col de Bise est cette espèce de frontière invisible qui me fait basculer franchement dans ce pour quoi je suis venu. Je suis enfin là-haut. Je domine le lac au loin, et ressens ce sentiment de liberté au plus profond de moi. »
De Samoëns au col d’Anterne (p. 52-54)
De Briançon à Arvieux (p. 136-139)
De Roure aux Granges de la Brasque (p. 207-210)
« Saint-Gingolph, drôle de nom pour un départ. Je crois n’avoir jamais croisé de Gingolph, mais il a bien dû en exister au moins un. D’après la passion du saint, datée de la fin du IXe ou du début du Xe siècle, Gingolph se serait fait assassiner par sa femme aux mœurs particulièrement légères. Le peuple se serait ainsi mis à le vénérer comme le martyr de la fidélité conjugale. Gingolph, le saint patron des cocus. Je pars sous de bons auspices.
Le sentier s’élève très rapidement et quitte, tout aussi promptement, les bords du lac et son village. On dit souvent que la Corse, c’est la montagne dans la mer, le Léman, lui, c’est un peu la mer dans la montagne. Le littoral est loin désormais, et le chemin s’enfonce doucement le long de la frontière suisse avant d’entamer franchement les hostilités. Une montée assez sèche, de 900 mètres, vers le col de Bise et ses promesses alpines. Je m’en rends bien compte lors de cette première grimpette, les marmottes sortent tout amaigries de l’hiver, nous au contraire, on en sort gras, patauds. Notre hiver à nous, il fait grossir. Même si je n’ai pas cette obnubilation de la jeunesse pour le corps parfait, même si je n’ai qu’une modeste ambition dans ce domaine, je me convaincs qu’une petite traversée des Alpes à pied ne peut pas faire de mal pour se remettre d’aplomb avant la saison estivale.
Les névés sont encore bien présents en ce début de printemps, après un hiver exceptionnellement rigoureux cette année. Cela ajoute à la poésie des lieux, la nature qui se réveille à peine et qui n’a pas encore complètement enlevé ses coquetteries blanches. Le décor contraste parfaitement avec l’agitation urbaine et les vicissitudes d’une vie de médecin citadin, et je tente sans effort d’accéder aux vertus aristocratiques de cet ennui supérieur que Julien Gracq situe, dans son Rivage des Syrtes, “entre lecture des poètes et promenades solitaires dans la campagne”.
Après plusieurs heures d’efforts, le col de Bise est cette espèce de frontière invisible qui me fait basculer franchement dans ce pour quoi je suis venu. Je suis enfin là-haut. Je domine le lac au loin, et ressens ce sentiment de liberté au plus profond de moi. »
(p. 24-25)
De Samoëns au col d’Anterne (p. 52-54)
De Briançon à Arvieux (p. 136-139)
De Roure aux Granges de la Brasque (p. 207-210)