De Calacuccia à la Restonica :
« La descente douce vers le fond de la vallée du Tavignano et le refuge de la Sega est un enchantement. La forêt, principalement constituée de pins laricios (Pinus nigra corsicana), apaise les sens. Ici, le monde rocailleux et austère du Cinto fait place à une harmonie de doux reliefs, de clairières tranquilles, de ruisseaux garnis de galets et de mousses. Les laricios sont connus depuis des siècles pour leurs pouvoirs. Leur écorce grise les distingue de leurs cousins maritimes. Ils ont le port majestueux et peuvent avoir un diamètre impressionnant. On dit aussi qu’ils sont les plus hauts arbres de France. Leurs fûts sont si rectilignes que les Phéniciens les convoitaient pour les mâts de leurs navires. Très résistants, ces arbres n’ont besoin que de peu de terre pour subsister. Qui ne s’est pas étonné de les voir pousser en pleine paroi rocheuse, accrochés aux falaises comme de la mauvaise herbe entre des pavés ? Et même décapités par la foudre, certains se sont maintenus durant des siècles. Maître des montagnes, le pin est tellement réputé pour sa solidité et sa rusticité que la France entière en a été couverte : plantations massives dans les Landes, en Sologne, dans les Pays de la Loire, en Normandie, dans les Cévennes, le Nord-Est et les Alpes du Sud. La diaspora du laricio n’a pas fini de faire des émules.
Dans ce décor de haute futaie trône le refuge de la Sega. S’il est un Éden sur terre, il doit ressembler à cela. Je ne m’y attarde pas, non parce que je n’aime pas le paradis, ni parce que j’ai peur des punaises, mais parce que j’ai hâte de rejoindre la Restonica. Je franchis le fleuve majestueux par une passerelle puis m’engouffre dans la réserve biologique intégrale du Tavignano, créée en 1984 pour étudier le développement de ce biotope lorsqu’il est livré à lui-même. Là encore, je prends des notes pour ma permaculture personnelle. J’essaie d’observer des sittelles corses (Sitta whiteheadi, du nom de son inventeur, John Whitehead, au XIXe siècle), seul oiseau strictement endémique de France. Ce passereau de montagne gris-bleu au long bec a une relation presque symbiotique avec le laricio. Je sors discrètement des sentiers battus et me mets à l’affût. Coup de chance, un chant ne tarde pas à se faire entendre, qui pourrait correspondre à celui d’une sittelle. J’observe aux jumelles un spécimen perché sur une branche de houppier à l’aplomb de la punta Tavoliccio. Il fait des bonds sur la tige, se balade sur le tronc en sifflant. Je savoure ce moment exceptionnel, d’autant qu’a picchjarina, comme on dit en corse, est en danger – elle figure sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et son endémisme est un facteur aggravant. Devant la majesté d’un gypaète ou d’un aigle royal, la sittelle n’impressionne pas, elle apparaît comme un vulgaire moineau. Si l’on est attentif, si l’on devine l’enjeu, on découvre pourtant un élément du patrimoine avifaunistique délicat et fragile, qui provoque chez moi une vive émotion. Je suis heureux de cette observation. »
De Saint-Florent à Murato (p. 56-60)
De Quenza à la montagne de Cagna (p. 164-166)
Extrait court
« La descente douce vers le fond de la vallée du Tavignano et le refuge de la Sega est un enchantement. La forêt, principalement constituée de pins laricios (Pinus nigra corsicana), apaise les sens. Ici, le monde rocailleux et austère du Cinto fait place à une harmonie de doux reliefs, de clairières tranquilles, de ruisseaux garnis de galets et de mousses. Les laricios sont connus depuis des siècles pour leurs pouvoirs. Leur écorce grise les distingue de leurs cousins maritimes. Ils ont le port majestueux et peuvent avoir un diamètre impressionnant. On dit aussi qu’ils sont les plus hauts arbres de France. Leurs fûts sont si rectilignes que les Phéniciens les convoitaient pour les mâts de leurs navires. Très résistants, ces arbres n’ont besoin que de peu de terre pour subsister. Qui ne s’est pas étonné de les voir pousser en pleine paroi rocheuse, accrochés aux falaises comme de la mauvaise herbe entre des pavés ? Et même décapités par la foudre, certains se sont maintenus durant des siècles. Maître des montagnes, le pin est tellement réputé pour sa solidité et sa rusticité que la France entière en a été couverte : plantations massives dans les Landes, en Sologne, dans les Pays de la Loire, en Normandie, dans les Cévennes, le Nord-Est et les Alpes du Sud. La diaspora du laricio n’a pas fini de faire des émules.
Dans ce décor de haute futaie trône le refuge de la Sega. S’il est un Éden sur terre, il doit ressembler à cela. Je ne m’y attarde pas, non parce que je n’aime pas le paradis, ni parce que j’ai peur des punaises, mais parce que j’ai hâte de rejoindre la Restonica. Je franchis le fleuve majestueux par une passerelle puis m’engouffre dans la réserve biologique intégrale du Tavignano, créée en 1984 pour étudier le développement de ce biotope lorsqu’il est livré à lui-même. Là encore, je prends des notes pour ma permaculture personnelle. J’essaie d’observer des sittelles corses (Sitta whiteheadi, du nom de son inventeur, John Whitehead, au XIXe siècle), seul oiseau strictement endémique de France. Ce passereau de montagne gris-bleu au long bec a une relation presque symbiotique avec le laricio. Je sors discrètement des sentiers battus et me mets à l’affût. Coup de chance, un chant ne tarde pas à se faire entendre, qui pourrait correspondre à celui d’une sittelle. J’observe aux jumelles un spécimen perché sur une branche de houppier à l’aplomb de la punta Tavoliccio. Il fait des bonds sur la tige, se balade sur le tronc en sifflant. Je savoure ce moment exceptionnel, d’autant qu’a picchjarina, comme on dit en corse, est en danger – elle figure sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et son endémisme est un facteur aggravant. Devant la majesté d’un gypaète ou d’un aigle royal, la sittelle n’impressionne pas, elle apparaît comme un vulgaire moineau. Si l’on est attentif, si l’on devine l’enjeu, on découvre pourtant un élément du patrimoine avifaunistique délicat et fragile, qui provoque chez moi une vive émotion. Je suis heureux de cette observation. »
(p. 94-96)
De Saint-Florent à Murato (p. 56-60)
De Quenza à la montagne de Cagna (p. 164-166)
Extrait court