La dernière évasion :
« Je regarde et je vois sur la rive une petite isba, toute petite, une hutte pareille à celles qu’on rencontre au milieu des prairies dans nos gouvernements du Nord. Oh ! si nous pouvions trouver du pain ! pensai-je? Quel bonheur !
Nous allons, de toute façon, profiter de ce toit. Ayant sifflé les miens, je leur désignai mon chemin et leur criai de passer.
Ordinairement, quand nous nous arrêtions pour nous reposer, je battais soigneusement les alentours, afin de m’assurer de l’endroit, de voir s’il n’y avait pas de traces humaines.
Ayant pris la petite isba pour centre, je fis cette fois encore mon tour.
Il me fallait marcher dans l’eau, il faisait froid, j’avais envie de dormir. Je voyais que les miens se trouvaient déjà à l’abri et que déjà une fumée sortait du toit. S’il y avait du pain? du pain? Quel réconfort ce serait !
Je continue mon tour et, à ma droite, j’aperçois un auvent au milieu des arbres, en forme de champignon.
“Qu’est-ce que cela peut bien être ? Une chapelle carélienne quelconque ou un refuge contre la pluie”, me répondis-je.
J’avais envie de me reposer, et la distance jusqu’au “champignon” était encore assez grande. Fallait-il y aller ou revenir à la petite isba ? J’y allai. Devant moi, encore de l’eau que je passai à gué ; je montai sur une petite éminence ; je m’approchai du “champignon”.
Je regardai en l’air. Sous l’auvent étaient rangées des pierres rondes. J’écartai les poutres, je pris un bloc dans la main. Pour une pierre, c’était trop léger? J’en cassai un morceau et le mis sous la dent : du pain !
Sur place même, le pain à la main, dans le marais, je me mis à genoux et je remerciai Dieu. Comment ne pas croire au destin, à la Providence divine, en Dieu ?! Sous l’auvent se trouvaient deux rangs de pains séchés, deux sacs de millet et une botte en écorce de bouleau avec du sel.
Je pris cinq pains et revins vers les miens. Malsagov me raconta, par la suite, que lorsqu’il me vit approcher de l’isbouchka, avec du pain dans les mains et entre les dents, il pensa qu’il était victime d’une hallucination ou qu’il perdait la raison?
Il se jeta en avant jusqu’à m’embrasser?
Je me souviens que, deux heures plus tard, déshabillé, rassasié, une cigarette de makhorka à la bouche, allongé dans l’isbouchka fortement chauffée, je me sentis un homme heureux? Je vivais? Je me sentais vivre. Le soleil nous éclairait par la porte ouverte. J’étais libre. J’étais tout près de la nature. J’avais du pain et un toit. J’étais heureux.
La nourriture la plus fine, le confort le plus grand, ne peuvent donner les sensations que procurent à un homme qui a faim et qui est las un morceau de pain noir et un toit.
Les plus belles villes du monde ne peuvent donner à l’homme les sensations que lui donne la nature quand il s’en approche de tout près.
Toutes les libertés de tous les pays ne sont rien devant la liberté de l’homme pour lequel il n’y a plus qu’une loi, celle de Dieu, celle de la conscience?
Gloire à Lui, de m’avoir donné de vivre cela ! »
Six mois en cellule (p. 245-247)
Première évasion (p. 116-118)
Extrait court
« Je regarde et je vois sur la rive une petite isba, toute petite, une hutte pareille à celles qu’on rencontre au milieu des prairies dans nos gouvernements du Nord. Oh ! si nous pouvions trouver du pain ! pensai-je? Quel bonheur !
Nous allons, de toute façon, profiter de ce toit. Ayant sifflé les miens, je leur désignai mon chemin et leur criai de passer.
Ordinairement, quand nous nous arrêtions pour nous reposer, je battais soigneusement les alentours, afin de m’assurer de l’endroit, de voir s’il n’y avait pas de traces humaines.
Ayant pris la petite isba pour centre, je fis cette fois encore mon tour.
Il me fallait marcher dans l’eau, il faisait froid, j’avais envie de dormir. Je voyais que les miens se trouvaient déjà à l’abri et que déjà une fumée sortait du toit. S’il y avait du pain? du pain? Quel réconfort ce serait !
Je continue mon tour et, à ma droite, j’aperçois un auvent au milieu des arbres, en forme de champignon.
“Qu’est-ce que cela peut bien être ? Une chapelle carélienne quelconque ou un refuge contre la pluie”, me répondis-je.
J’avais envie de me reposer, et la distance jusqu’au “champignon” était encore assez grande. Fallait-il y aller ou revenir à la petite isba ? J’y allai. Devant moi, encore de l’eau que je passai à gué ; je montai sur une petite éminence ; je m’approchai du “champignon”.
Je regardai en l’air. Sous l’auvent étaient rangées des pierres rondes. J’écartai les poutres, je pris un bloc dans la main. Pour une pierre, c’était trop léger? J’en cassai un morceau et le mis sous la dent : du pain !
Sur place même, le pain à la main, dans le marais, je me mis à genoux et je remerciai Dieu. Comment ne pas croire au destin, à la Providence divine, en Dieu ?! Sous l’auvent se trouvaient deux rangs de pains séchés, deux sacs de millet et une botte en écorce de bouleau avec du sel.
Je pris cinq pains et revins vers les miens. Malsagov me raconta, par la suite, que lorsqu’il me vit approcher de l’isbouchka, avec du pain dans les mains et entre les dents, il pensa qu’il était victime d’une hallucination ou qu’il perdait la raison?
Il se jeta en avant jusqu’à m’embrasser?
Je me souviens que, deux heures plus tard, déshabillé, rassasié, une cigarette de makhorka à la bouche, allongé dans l’isbouchka fortement chauffée, je me sentis un homme heureux? Je vivais? Je me sentais vivre. Le soleil nous éclairait par la porte ouverte. J’étais libre. J’étais tout près de la nature. J’avais du pain et un toit. J’étais heureux.
La nourriture la plus fine, le confort le plus grand, ne peuvent donner les sensations que procurent à un homme qui a faim et qui est las un morceau de pain noir et un toit.
Les plus belles villes du monde ne peuvent donner à l’homme les sensations que lui donne la nature quand il s’en approche de tout près.
Toutes les libertés de tous les pays ne sont rien devant la liberté de l’homme pour lequel il n’y a plus qu’une loi, celle de Dieu, celle de la conscience?
Gloire à Lui, de m’avoir donné de vivre cela ! »
(p. 365-367)
Six mois en cellule (p. 245-247)
Première évasion (p. 116-118)
Extrait court