? Il n’y a qu’un petit rocher? » :
« Dans les Dolomites, les sentiers vertigineux ne se comptent pas : corniches, vias ferratas et couloirs permettent de ressentir le frisson du vide en surplombant de verdoyantes vallées ou en parcourant un décor entièrement minéral. En effet, les versants abrupts caractérisent ces montagnes et ils contribuent à façonner leur esthétique si singulière. Ils ont fasciné les alpinistes, qui les ont défiés en repoussant progressivement la limite des difficultés franchissables, ainsi que les artistes : Dino Buzzati peignait des tableaux où il sublimait la verticalité des Dolomites et en tirait des textes où il leur attribuait des traits fantastiques à la Maupassant. Le vertige alors s’emparait de sa pensée et, sous sa plume visionnaire, les tours élancées devenaient “moines encapuchonnés, vierges sauvages, guerriers médiévaux, prêtres, statues de cire complotant sur les crêtes, fantômes transparents de calcaire érodés par le vent, qui se penchent et regardent, regardent d’un œil fixe”.
À mon tour, j’aime associer aux silhouettes dolomitiques des formes familières ou imaginaires. Ainsi, vu depuis mon point d’observation, à plus de 2 000 mètres, le mont Pelmo ressemble à une grosse molaire, avec ses racines claires et luisantes, ses éboulis plongeant dans les bois qui lèchent sa base et ses flancs. Devant nous, dans l’ombre, comme suspendus dans le vide, trois personnes dessinent un “V” sur le mur vertical. Nous comprenons qu’ils se déplacent le long de la via ferrata, mais aussi qu’ils le font sans baudrier. Des frissons nous parcourent le dos. N’est-ce pas de l’inconscience ? Bien sûr, l’habitude peut donner une sensation de sécurité, mais l’inconscience reste un défi lancé à la raison. Nous continuons à progresser prudemment. Nicola est en tête et, parfois, quand il s’agit de franchir un pas délicat et d’éviter la glissade fatale, je lui demande de me donner la main. Giuseppe ferme la marche. “Et pour moi, rien ?” dit-il : il croit peut-être que personne ne fait attention à lui, mais Nicola sait bien qu’il est expérimenté et moi, qui me retourne plusieurs fois pour lui demander si tout va bien, je crains de le vexer en lui proposant mon aide. D’ailleurs, au lieu de contourner l’obstacle par le côté comme j’essaie de le faire, il préfère coller aux rochers saillants dans une étreinte de lézard.
Marcher en montagne, c’est aussi une question de style, de caractère et de personnalité. Aujourd’hui j’abdique toute prétention et me fais toute petite afin de me laisser choyer et assister. »
L’appel des origines (p. 127-129)
À plat ventre sur le Sciliar (p. 186-187)
Extrait court
« Dans les Dolomites, les sentiers vertigineux ne se comptent pas : corniches, vias ferratas et couloirs permettent de ressentir le frisson du vide en surplombant de verdoyantes vallées ou en parcourant un décor entièrement minéral. En effet, les versants abrupts caractérisent ces montagnes et ils contribuent à façonner leur esthétique si singulière. Ils ont fasciné les alpinistes, qui les ont défiés en repoussant progressivement la limite des difficultés franchissables, ainsi que les artistes : Dino Buzzati peignait des tableaux où il sublimait la verticalité des Dolomites et en tirait des textes où il leur attribuait des traits fantastiques à la Maupassant. Le vertige alors s’emparait de sa pensée et, sous sa plume visionnaire, les tours élancées devenaient “moines encapuchonnés, vierges sauvages, guerriers médiévaux, prêtres, statues de cire complotant sur les crêtes, fantômes transparents de calcaire érodés par le vent, qui se penchent et regardent, regardent d’un œil fixe”.
À mon tour, j’aime associer aux silhouettes dolomitiques des formes familières ou imaginaires. Ainsi, vu depuis mon point d’observation, à plus de 2 000 mètres, le mont Pelmo ressemble à une grosse molaire, avec ses racines claires et luisantes, ses éboulis plongeant dans les bois qui lèchent sa base et ses flancs. Devant nous, dans l’ombre, comme suspendus dans le vide, trois personnes dessinent un “V” sur le mur vertical. Nous comprenons qu’ils se déplacent le long de la via ferrata, mais aussi qu’ils le font sans baudrier. Des frissons nous parcourent le dos. N’est-ce pas de l’inconscience ? Bien sûr, l’habitude peut donner une sensation de sécurité, mais l’inconscience reste un défi lancé à la raison. Nous continuons à progresser prudemment. Nicola est en tête et, parfois, quand il s’agit de franchir un pas délicat et d’éviter la glissade fatale, je lui demande de me donner la main. Giuseppe ferme la marche. “Et pour moi, rien ?” dit-il : il croit peut-être que personne ne fait attention à lui, mais Nicola sait bien qu’il est expérimenté et moi, qui me retourne plusieurs fois pour lui demander si tout va bien, je crains de le vexer en lui proposant mon aide. D’ailleurs, au lieu de contourner l’obstacle par le côté comme j’essaie de le faire, il préfère coller aux rochers saillants dans une étreinte de lézard.
Marcher en montagne, c’est aussi une question de style, de caractère et de personnalité. Aujourd’hui j’abdique toute prétention et me fais toute petite afin de me laisser choyer et assister. »
(p. 67-69)
L’appel des origines (p. 127-129)
À plat ventre sur le Sciliar (p. 186-187)
Extrait court