« Hors collection »

  • Dersou Ouzala
  • Gagarine ou le rêve russe de l’espace
  • Courir l’Himalaya
  • Tamir aux eaux limpides (La)
  • Julien, la communion du berger
  • Lettres aux arbres
  • 100 Vues du Japon (Les)
  • Légende des Pôles (La)
  • 100 Objets du Japon (Les)
  • Chemins de Halage
  • Vivre branchée
  • Solidream
  • Cap-Vert
  • Voyage en Italique
  • Esprit du chemin (L’)
  • Testament des glaces (Le)
  • Un rêve éveillé
  • Pouyak
  • ?uvres autobiographiques
  • Périple de Beauchesne à la Terre de Feu (1698-1701)
Couverture
Tome III, Expéditions – Dialogues à une voix :

« Nous progressons au centre d’une sphère bleue qui se déplace avec nous. Pâle et cristallin, le dôme. Dense et lourde, la coupe. Et à la rencontre des deux, devant nous, une zone indécise. Mauve, indigo, transparente et profonde. Nous volons depuis des heures dans cet infini, poursuivis par un soleil presque immobile, ancré en plein ciel, épave, peut-être, dans un monde irréel.
Assis entre le pilote et le copilote, j’imagine sans peine que nous allons entrer, pour n’en plus sortir, dans une quatrième dimension, sans commencement ni fin, où l’homme né de l’homme ne connaît pas la mort. J’éprouve une sorte de tension silencieuse et aiguë, qui me fait, à plusieurs reprises, regarder mes mains pour m’assurer qu’elles ne tremblent pas. Comme un toxicomane?
Quelque part, au bout de ce monde infini, je vais trouver le pêcheur debout dans sa pirogue, le harpon à la main, et la vahiné au coucher de soleil, comme sur un tableau de Gauguin ; les îles, leurs parfums, leurs fleurs, tout ce bric-à-brac polynésien que déverse depuis plus d’un siècle, sur le public avide dont je suis, la littérature spécialisée.
Et d’un seul coup j’ai peur. Comment retrouve-t-on, après vingt-cinq ans d’absence, celle qu’on aime ? Le miroir, chaque matin, renvoie sa propre image et les changements sont imperceptibles. Mais qu’arriverait-il si, pendant vingt-cinq ans, on était privé de miroir ?
Dans l’opale du ciel saupoudré de diamants, quelque chose, soudain, brise la continuité du néant lumineux qui nous entoure. L’instant d’après, Bora Bora, nombril du monde, apparaît. D’abord suspendue entre ciel et mer, scintillante, irisée, l’île prend forme. Pierre de lune, elle devient topaze, puis améthyste et enfin saphir. Le Pacifique s’alourdit aussi. Transparent comme un voile, le bol s’aplatit, son fond monte vers nous, lapis-lazuli, puis outremer, indigo et enfin presque noir.
La grande houle, poumon marin, respiration lente et profonde du plus grand océan du monde, découpe sa surface en une infinité de lignes parallèles. Mais, brillants comme des fils d’argent, des cercles concentriques viennent dessiner sur cette houle une gigantesque toile d’araignée, dentelle à la fois mouvante et fragile.
Bora Bora surgit des flots. Lointaine encore, elle ressemble à une voile gonflée par le vent, à un oiseau dépliant ses ailes pour prendre son essor, à un navire encalminé. Sa base disparaît dans une brume légère, diaphane, irisée. Une couronne de blancheur, illuminée de soleil, nimbe ses hauteurs.
Jamais encore je n’avais vu ce qui m’apparaît maintenant : des eaux couleur d’arc-en-ciel, de feu d’artifice, issues tout droit d’une palette de peintre. Eaux couleur de bronze, de cuivre, d’or, d’argent, de nacre, de perle, de lait, de jade, d’émeraude, de clair de lune, d’aurore polaire. Les étoiles elles-mêmes ont dû y tomber, qui scintillent de tous leurs feux?
Lorsque enfin les roues de l’avion se posent en douceur sur la piste raboteuse, j’écris, malgré les cahots, dans mon journal de route : “Nulle part ailleurs au monde?” »
(p. 264-265)

Tome I, La Mansarde – La villa Bernard, le séquoia et le gibus à poils (p. 59-60)
Tome II, L’Iglou – Épilogue (p. 369-370)
Extrait court
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