Genèse d’une passion :
« Né au Népal, Tenzin n’en a pas la nationalité et ne l’acquerra pas à sa majorité. Sa simple naissance l’a placé dans l’illégalité. Son existence est tolérée. Fils de réfugié, il est apatride. Lorsque nous lui demandons s’il se sent népalais ou tibétain, il n’hésite pas : “Tibétain !” Et si je lui demande sa nationalité, j’obtiens la même réponse : “Tibétaine !” Aucune autre nationalité ne lui est reconnue que celle-ci, décernée par le gouvernement tibétain en exil, lui-même dépourvu de reconnaissance internationale. Et notre petit Tibétain des cités n’a jamais vu un yack, jamais touché la neige, ne s’est jamais confronté à l’altitude. Des hauts plateaux où ont grandi ses parents, il n’a vu que des photos jaunies. Et jamais il n’a pu rencontrer ce frère né huit ans avant lui et resté au pays. L’obstacle infranchissable qui fragmente la famille n’est pas la barrière himalayenne, ni même ces hauts cols où circulaient autrefois porteurs et caravanes de sel. Ce sont les gardes-frontières, la surveillance électronique, le risque des passages clandestins.
Tout cela, nous l’ignorons encore lorsque nous marchons pour la première fois ensemble dans les rues de Katmandou. Le garçon que nous découvrons est d’apparence frêle, plus petit que nos enfants, d’une grande douceur, discret mais vif. Un reste d’enfance éclaire son visage. Son pas est alerte, presque gracieux, aux côtés de David et Marion. Il semble en confiance, et nous le sommes probablement aussi car nous lui proposons très vite, avant même de monter vers le temple de Swayambhu où nous conduit son père, de nous accompagner dans notre trekking. Nous n’avions pas osé, de France, faire cette proposition dont nous ne mesurions ni la pertinence ni la portée. Mais ici, réunis depuis moins de deux heures, elle nous vient tout naturellement. Nous aurions l’impression, sans cela, de manquer une occasion d’aplanir un peu la distance qui nous sépare. Quoi de plus simple et naturel que de marcher ensemble ? La réponse de Tenzin est empreinte de désir et de crainte à la fois : il doit demander à son père. On le voit qui s’approche de lui, hésite, et c’est comme s’il n’osait pas, alors que redescendus du temple, nous sommes à nouveau happés par le vacarme de la foule. Puis, à la faveur d’un autre rapprochement, la question est posée. La réponse du père est immédiate, c’est non !
“Es-tu déçu, Tenzin ?
— Oh, non !”
Je ne sais quoi penser.
Le soir, il obtient la permission de dîner avec nous dans un restaurant tibétain du quartier Thamel, tandis que Tashi rentre chez lui. C’est le quartier touristique, autrefois des hippies, aujourd’hui des bars branchés, des échoppes d’artisanat, de matériel de montagne contrefait, de thé de Darjeeling ou d’Ilam, de littérature himalayenne. Tenzin n’y vient jamais. Autour du repas, nous nous sentons bien ; les quatre jeunes s’amusent ensemble. Et je repose la question : “Tu n’es pas déçu, Tenzin ?” Et je comprends qu’il l’est.
“Mais tu ne peux pas redemander à ton père ?
— Oh non, pas moi ! Mais vous?”
C’est ainsi que nous décidons de traverser la ville pour formuler à ses parents la demande officielle que Tenzin puisse nous accompagner. »
Naar et Phu (p. 103-104)
Kangchenjunga (p. 208-209)
Extrait court
« Né au Népal, Tenzin n’en a pas la nationalité et ne l’acquerra pas à sa majorité. Sa simple naissance l’a placé dans l’illégalité. Son existence est tolérée. Fils de réfugié, il est apatride. Lorsque nous lui demandons s’il se sent népalais ou tibétain, il n’hésite pas : “Tibétain !” Et si je lui demande sa nationalité, j’obtiens la même réponse : “Tibétaine !” Aucune autre nationalité ne lui est reconnue que celle-ci, décernée par le gouvernement tibétain en exil, lui-même dépourvu de reconnaissance internationale. Et notre petit Tibétain des cités n’a jamais vu un yack, jamais touché la neige, ne s’est jamais confronté à l’altitude. Des hauts plateaux où ont grandi ses parents, il n’a vu que des photos jaunies. Et jamais il n’a pu rencontrer ce frère né huit ans avant lui et resté au pays. L’obstacle infranchissable qui fragmente la famille n’est pas la barrière himalayenne, ni même ces hauts cols où circulaient autrefois porteurs et caravanes de sel. Ce sont les gardes-frontières, la surveillance électronique, le risque des passages clandestins.
Tout cela, nous l’ignorons encore lorsque nous marchons pour la première fois ensemble dans les rues de Katmandou. Le garçon que nous découvrons est d’apparence frêle, plus petit que nos enfants, d’une grande douceur, discret mais vif. Un reste d’enfance éclaire son visage. Son pas est alerte, presque gracieux, aux côtés de David et Marion. Il semble en confiance, et nous le sommes probablement aussi car nous lui proposons très vite, avant même de monter vers le temple de Swayambhu où nous conduit son père, de nous accompagner dans notre trekking. Nous n’avions pas osé, de France, faire cette proposition dont nous ne mesurions ni la pertinence ni la portée. Mais ici, réunis depuis moins de deux heures, elle nous vient tout naturellement. Nous aurions l’impression, sans cela, de manquer une occasion d’aplanir un peu la distance qui nous sépare. Quoi de plus simple et naturel que de marcher ensemble ? La réponse de Tenzin est empreinte de désir et de crainte à la fois : il doit demander à son père. On le voit qui s’approche de lui, hésite, et c’est comme s’il n’osait pas, alors que redescendus du temple, nous sommes à nouveau happés par le vacarme de la foule. Puis, à la faveur d’un autre rapprochement, la question est posée. La réponse du père est immédiate, c’est non !
“Es-tu déçu, Tenzin ?
— Oh, non !”
Je ne sais quoi penser.
Le soir, il obtient la permission de dîner avec nous dans un restaurant tibétain du quartier Thamel, tandis que Tashi rentre chez lui. C’est le quartier touristique, autrefois des hippies, aujourd’hui des bars branchés, des échoppes d’artisanat, de matériel de montagne contrefait, de thé de Darjeeling ou d’Ilam, de littérature himalayenne. Tenzin n’y vient jamais. Autour du repas, nous nous sentons bien ; les quatre jeunes s’amusent ensemble. Et je repose la question : “Tu n’es pas déçu, Tenzin ?” Et je comprends qu’il l’est.
“Mais tu ne peux pas redemander à ton père ?
— Oh non, pas moi ! Mais vous?”
C’est ainsi que nous décidons de traverser la ville pour formuler à ses parents la demande officielle que Tenzin puisse nous accompagner. »
(p. 20-21)
Naar et Phu (p. 103-104)
Kangchenjunga (p. 208-209)
Extrait court