Le retour des animaux :
« Par un matin calme, j’embarque dans l’annexe pour observer la vie sous-marine. Ce n’est pas la première fois qu’allongé sur les boudins, je me laisse dériver en détaillant les algues et la faune. L’eau est suffisamment limpide pour permettre de distinguer des ophiures et de nombreux crustacés jusqu’à 10 mètres environ. Les macrocystes remontent des profondeurs comme des arbres imaginaires. Une multitude de plantes et d’animaux vivent sur les parois rocheuses toujours immergées, les parant de rouge, d’ocre et de vert. Depuis la surface, au sec dans l’annexe, l’examen des fonds marins m’étonne et m’envoûte ; je plongerais si l’eau me rebutait moins.
Un autre jour, mes pas m’ont mené vers le sable clair de l’anse Thomas. Cette blancheur, surprenante au milieu des roches basaltiques si noires, est probablement due à des sables coquilliers assez récents. L’eau de la baie frémit sous les risées. Une énorme masse sombre, émergeant à peine, longe la plage : les yeux et les narines hors de l’eau, le dos au ras des flots, un éléphant de mer mâle inspecte les environs. Ondulant à peine, le mammifère de 3 tonnes est incroyablement à l’aise dans son élément. Voici qu’il sort de l’eau, tente de remonter au sec par quelques reptations successives. Que c’est fatigant ! Il retourne à l’eau, peut-être parce que la plage ne lui plaît pas?
Chaque jour, l’anse Sablonneuse accueille de nouveaux éléphants de mer. À ma première visite, deux pachas sont en vis-à-vis et semblent se partager le territoire. Début octobre, deux semaines plus tard, six harems totalisant cent seize femelles occuperont la plage ; le plus puissant des mâles possédera à lui seul soixante-quinze d’entre elles.
Pour l’instant, je tente de filmer un mâle solitaire. À mon approche, le monstre s’impatiente : les yeux exorbités de colère, éructant, poussant un son qui résonne comme s’il sortait des entrailles de la terre, il tente de m’intimider. La caméra posée sur le trépied, j’attends la charge du seigneur. Lorsque la masse de graisse s’ébranle, je déclenche le film, un œil dans le viseur, l’autre surveillant mon ennemi, puis détale en sauvant la caméra ! Le jeu est dangereux car si je tombais, je serais écrasé par le poids du monstre. C’est pourquoi je renouvelle la plaisanterie trois fois, pas plus, certain de tenir des images saisissantes.
À la fin du mois de septembre, quelques dizaines de femelles sont regroupées autour des mâles, et des nouveau-nés à l’air jovial donnent au tableau un aspect moins grotesque. Arpentant la grève, je repère une femelle qui nage à l’entrée de la baie. Elle se dirige droit vers la plage qu’elle longe d’abord, sortant sa tête au-dessus de l’eau pour observer ses congénères. Ayant choisi son mâle, elle se hisse sur le sable, en périphérie du harem. Le pacha la regarde à peine, sûr de son charisme. Quels sont les instincts, quels sont les stimuli et les pulsions qui guident ces mammifères vers des plages précises alors qu’ils ont passé l’hiver loin en mer ?
Le pacha dort, ronfle bruyamment. Il a tort car un autre mâle rôde, et veut profiter du sommeil de son ennemi. Le nouvel arrivant remonte sur la plage et tente de séduire une femelle. Les cris de celle-ci réveillent le roi. Avec une agilité et une vitesse surprenantes, il traverse son harem en rampant et en tirant son corps à l’aide de ses nageoires antérieures. Il bouscule de sa masse des femelles qui aboient leur désapprobation. D’autres, l’air intéressé, suivent les réactions de l’intrus. Il se dresse, prêt à défendre ses droits. Face à face, le corps arqué, semblant défier les lois de l’équilibre, les colosses dressent leur tête à 3 mètres de hauteur. Les yeux fous de colère, crachant leur haleine nauséabonde dans un concert aux résonances caverneuses, les éléphants se défient pour éviter le combat. Nul ne cède. La bataille s’engage. Lançant leur tête vers l’ennemi, ils tentent de mordre le cou de l’adversaire, déjà couvert de cicatrices. Dans les claquements de violence, les masses de graisse s’entrechoquent. Vue à 50 mètres de distance, la scène dépasse en force et en puissance tout ce que je pouvais imaginer. Le combat est bref. Le prétendant fléchit, baisse la tête en signe de reddition et recule, toujours face à l’adversaire. Puis, pivotant avec prestance, il fuit, encore poursuivi jusqu’à la mer. Le maître des lieux, de son cri rocailleux, affirme sa victoire avant de se rendormir en soupirant bruyamment. »
Premières joies, premiers doutes (p. 34-35)
Sous les falaises de l’Ouest (p. 95-97)
Extrait court
« Par un matin calme, j’embarque dans l’annexe pour observer la vie sous-marine. Ce n’est pas la première fois qu’allongé sur les boudins, je me laisse dériver en détaillant les algues et la faune. L’eau est suffisamment limpide pour permettre de distinguer des ophiures et de nombreux crustacés jusqu’à 10 mètres environ. Les macrocystes remontent des profondeurs comme des arbres imaginaires. Une multitude de plantes et d’animaux vivent sur les parois rocheuses toujours immergées, les parant de rouge, d’ocre et de vert. Depuis la surface, au sec dans l’annexe, l’examen des fonds marins m’étonne et m’envoûte ; je plongerais si l’eau me rebutait moins.
Un autre jour, mes pas m’ont mené vers le sable clair de l’anse Thomas. Cette blancheur, surprenante au milieu des roches basaltiques si noires, est probablement due à des sables coquilliers assez récents. L’eau de la baie frémit sous les risées. Une énorme masse sombre, émergeant à peine, longe la plage : les yeux et les narines hors de l’eau, le dos au ras des flots, un éléphant de mer mâle inspecte les environs. Ondulant à peine, le mammifère de 3 tonnes est incroyablement à l’aise dans son élément. Voici qu’il sort de l’eau, tente de remonter au sec par quelques reptations successives. Que c’est fatigant ! Il retourne à l’eau, peut-être parce que la plage ne lui plaît pas?
Chaque jour, l’anse Sablonneuse accueille de nouveaux éléphants de mer. À ma première visite, deux pachas sont en vis-à-vis et semblent se partager le territoire. Début octobre, deux semaines plus tard, six harems totalisant cent seize femelles occuperont la plage ; le plus puissant des mâles possédera à lui seul soixante-quinze d’entre elles.
Pour l’instant, je tente de filmer un mâle solitaire. À mon approche, le monstre s’impatiente : les yeux exorbités de colère, éructant, poussant un son qui résonne comme s’il sortait des entrailles de la terre, il tente de m’intimider. La caméra posée sur le trépied, j’attends la charge du seigneur. Lorsque la masse de graisse s’ébranle, je déclenche le film, un œil dans le viseur, l’autre surveillant mon ennemi, puis détale en sauvant la caméra ! Le jeu est dangereux car si je tombais, je serais écrasé par le poids du monstre. C’est pourquoi je renouvelle la plaisanterie trois fois, pas plus, certain de tenir des images saisissantes.
À la fin du mois de septembre, quelques dizaines de femelles sont regroupées autour des mâles, et des nouveau-nés à l’air jovial donnent au tableau un aspect moins grotesque. Arpentant la grève, je repère une femelle qui nage à l’entrée de la baie. Elle se dirige droit vers la plage qu’elle longe d’abord, sortant sa tête au-dessus de l’eau pour observer ses congénères. Ayant choisi son mâle, elle se hisse sur le sable, en périphérie du harem. Le pacha la regarde à peine, sûr de son charisme. Quels sont les instincts, quels sont les stimuli et les pulsions qui guident ces mammifères vers des plages précises alors qu’ils ont passé l’hiver loin en mer ?
Le pacha dort, ronfle bruyamment. Il a tort car un autre mâle rôde, et veut profiter du sommeil de son ennemi. Le nouvel arrivant remonte sur la plage et tente de séduire une femelle. Les cris de celle-ci réveillent le roi. Avec une agilité et une vitesse surprenantes, il traverse son harem en rampant et en tirant son corps à l’aide de ses nageoires antérieures. Il bouscule de sa masse des femelles qui aboient leur désapprobation. D’autres, l’air intéressé, suivent les réactions de l’intrus. Il se dresse, prêt à défendre ses droits. Face à face, le corps arqué, semblant défier les lois de l’équilibre, les colosses dressent leur tête à 3 mètres de hauteur. Les yeux fous de colère, crachant leur haleine nauséabonde dans un concert aux résonances caverneuses, les éléphants se défient pour éviter le combat. Nul ne cède. La bataille s’engage. Lançant leur tête vers l’ennemi, ils tentent de mordre le cou de l’adversaire, déjà couvert de cicatrices. Dans les claquements de violence, les masses de graisse s’entrechoquent. Vue à 50 mètres de distance, la scène dépasse en force et en puissance tout ce que je pouvais imaginer. Le combat est bref. Le prétendant fléchit, baisse la tête en signe de reddition et recule, toujours face à l’adversaire. Puis, pivotant avec prestance, il fuit, encore poursuivi jusqu’à la mer. Le maître des lieux, de son cri rocailleux, affirme sa victoire avant de se rendormir en soupirant bruyamment. »
(p. 237-239)
Premières joies, premiers doutes (p. 34-35)
Sous les falaises de l’Ouest (p. 95-97)
Extrait court