Collection « Sillages »

  • Namaste
  • La 2CV vagabonde
  • Ísland
  • Habiter l’Antarctique
  • Cavalières
  • Damien autour du monde
  • À l’ombre de l’Ararat
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • Carpates
  • Âme du Gange (L’)
  • Pèlerin de Shikoku (Le)
  • Ivre de steppes
  • Tu seras un homme
  • Arctic Dream
  • Road Angels
  • L’ours est mon maître
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Cavalier des steppes
  • Odyssée amérindienne (L’)
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborigènes
  • Diagonale eurasienne
  • Brasil
  • Route du thé (La)
  • Dans les pas de l’Ours
  • Kamtchatka
  • Coureur des bois
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Siberia
  • Sur la route again
  • À l’écoute de l’Inde
  • Seule sur le Transsibérien
  • Rivages de l’Est
  • Solitudes australes
  • Espíritu Pampa
  • À l’auberge de l’Orient
  • Sans escale
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Errance amérindienne
  • Sibériennes
  • Unghalak
  • Nomade du Grand Nord
  • Sous l’aile du Grand Corbeau
  • Au cœur de l’Inde
  • Pèlerin d’Orient
  • Pèlerin d’Occident
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Au vent des Kerguelen
  • Volta (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Atalaya
  • Voie des glaces (La)
  • Grand Hiver (Le)
  • Maelström
  • Au gré du Yukon
Couverture
Suðurland, se sauver :

« J’effleure le champ de lave du Laufskálavarða. Il y a plus de mille ans, une ferme, la plus importante de l’île, se dressait au sud, au bord de l’actuelle route n° 1. Elle fut balayée par le souffle de l’éruption du Katla en 894. À sa place se dresse aujourd’hui une colline de lave. La tradition veut que chaque voyageur, lorsqu’il découvre l’endroit, y dresse un cairn de roches volcaniques. Trop au nord, je ne distingue pas les cairns. J’érige tout de même le mien à 10 mètres de la tente, le soir venu. Petit totem.
Selon la légende, un peuple caché – le Huldufólk (“peuple portant le secret”) – vit dans ces contrées. Ses représentants ressemblent à des trolls, des elfes, parfois des nains ou des fées, voire des gnomes. Ils habitent les Álagablettur – des formations rocheuses situées dans les montagnes, les plus anciens champs de lave recouverts de mousses. La majorité des Islandais croit en l’existence de ces êtres mystérieux. Certains disent les avoir aperçus en découvrant une lumière blanche très attirante. D’autres, plus excentriques, disent qu’ils sont entrés en contact avec le peuple caché. J’y crois, ou plutôt j’aimerais y croire. En tout cas, l’idée me plaît. Elle est bancale mais piquante. Elle réenchante le monde. Elle est sauvage, loin d’une lecture rationnelle de la nature, loin de celui que j’étais à La Défense. Cette croyance dans le Huldufólk est un poing levé, une lettre aux Muses écrite avec des mots imaginaires que personne ne comprend mais que tout le monde aimerait un jour recevoir.
Les livres disent que cette croyance dans un peuple caché répond à un besoin de l’âme chez les habitants de l’île après sa colonisation. Quand les Scandinaves ont débarqué sur les plages d’Islande, ils ont été confrontés à de rudes conditions. La mortalité infantile a explosé, les bêtes sont tombées malades et, pour la plupart, ont péri ; le blizzard a fragilisé les hommes et détruit les récoltes ; les séismes et les éruptions ont fait vaciller l’espoir de jours paisibles.
L’éruption du volcan Laki, le 8 juin 1783, a frappé les esprits. Une fissure de 27 kilomètres s’est ouverte au sud-ouest du Vatnajökull, du fait de l’interaction entre le fond sous-marin et la poussée basaltique. Cent quinze cratères – les Lakagígar – ont explosé successivement. La lave a été projetée à plus d’un kilomètre dans les airs et a recouvert 565 kilomètres carrés du territoire. Cet événement a provoqué l’une des plus importantes perturbations atmosphériques et sociales du dernier millénaire. Les projections de cendres et de gaz hautement soufrés ont formé un nuage si dense que tout le climat islandais en a été bouleversé. L’hiver s’est éternisé, le printemps n’est plus jamais revenu, l’été s’est transformé en un automne précoce : 80 % du cheptel est mort, ainsi que 20 % de la population, vouée de facto à la famine.
En parcourant la coulée de lave de l’Eldhraun, je songe aux récits de Jón Árnason et Magnús Grímsson4, à leurs trolls, à leurs elfes et à toutes les créatures susceptibles de me saisir le pied lorsque j’enjambe une fissure. Le peuple caché guette. Jusqu’à présent je n’ai rencontré personne, mais quelque chose va et vient dans mon dos. Je trébuche et c’est un croche-pied, le basalte fracturé m’inquiète. L’œil jaune d’un troll apparaît dans une lanterne de mousse, ses orteils sont incrustés dans les ciselures de la roche, son nez surgit d’un bloc de lave. Je vois ce qui m’inspire. Les légendes islandaises sont ainsi : elles lavent le regard et donnent consistance aux rêves.
Avancer dans l’Eldhraun, c’est se perdre dans un monde de mousses enchevêtrées qu’il ne faut pas piétiner. Les mousses, avides de fraîcheur et d’humidité, sont des végétaux reviviscents, autrement dit capables de se régénérer – leurs cellules ont la capacité de recouvrer leur activité biologique et physiologique au bout de plusieurs mois sans le moindre apport d’eau –, mais elles n’en demeurent pas moins fragiles. Marcher sur une mousse revient à lui imposer une reconstruction qui durera cent ans. Un bivouac dans les environs, c’est la foudre de Thor qui s’abat sur le marcheur ! Assurément. La mousse pousse sur la lave. Elle transforme tout ce qu’elle recouvre en épousant tendrement la souffrance du relief. C’est féerique. Pour éviter les mousses j’emprunte une sente de lagopède. Or la trace ne va nulle part. Elle serpente en formant des nœuds impossibles à défaire. Le brouillard tombe sur l’Eldhraun. Je mets onze heures à sortir du labyrinthe, traverser la Skaftá et planter ma tente dans une pente infâme. »
(p. 153-155)

Une terre de glace en feu (p. 116-118)
Vatnajökull : le géant de glace (p. 207-209)
Extrait court
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