Collection « Sillages »

  • Népal
  • La 2CV vagabonde
  • Ísland
  • Habiter l’Antarctique
  • Cavalières
  • Damien autour du monde
  • À l’ombre de l’Ararat
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • Carpates
  • Âme du Gange (L’)
  • Pèlerin de Shikoku (Le)
  • Ivre de steppes
  • Tu seras un homme
  • Arctic Dream
  • Road Angels
  • L’ours est mon maître
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Cavalier des steppes
  • Odyssée amérindienne (L’)
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborigènes
  • Diagonale eurasienne
  • Brasil
  • Route du thé (La)
  • Dans les pas de l’Ours
  • Kamtchatka
  • Coureur des bois
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Siberia
  • Sur la route again
  • À l’écoute de l’Inde
  • Seule sur le Transsibérien
  • Rivages de l’Est
  • Solitudes australes
  • Espíritu Pampa
  • À l’auberge de l’Orient
  • Sans escale
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Errance amérindienne
  • Sibériennes
  • Unghalak
  • Nomade du Grand Nord
  • Sous l’aile du Grand Corbeau
  • Au cœur de l’Inde
  • Pèlerin d’Orient
  • Pèlerin d’Occident
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Au vent des Kerguelen
  • Volta (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Atalaya
  • Voie des glaces (La)
  • Grand Hiver (Le)
  • Maelström
  • Au gré du Yukon
Couverture
Une terre de glace en feu :

« 54e jour de marche. Dans le centre de l’île, je perds la notion du temps. Le pas leste devient lourd, être patient fait mal, le désir sauvage de s’éprouver est comblé, l’optimisme insupportable des gens heureux n’existe plus. Je traverse le désert du Kjölur.
Ce n’est ni le Sahara, ni le Gobi, ni l’Atacama. Sur des dizaines de kilomètres, j’arpente de la caillasse figée, un désert froid de cendres grises étrillées par le vent. Des tourbillons de poussière épris de folie se dressent et tournoient dans les airs. Dans le Kjölur, on ne marche plus : on y traîne sa carcasse desséchée. On se confronte au brut et au vide, on y brûle ses pensées, on s’y abîme les yeux en quête d’autre chose que du minéral. On s’épuise à ne pas atteindre les pics de rhyolite et les dômes blancs qui dansent à l’horizon. Toujours aussi lointain. À la monotonie, aux assauts des éléments, on résiste, stoïque. Je finis par suivre les courbes de la rivière Jökullfall, puis bifurque plein est en direction de Kerlingarfjöll. Du relief, mon capitaine !
Deux raisons à ce détour. La première, chère à mon cœur, est historique : jusqu’au xixe siècle, Kerlingarfjöll fut un repaire de bandits qui voyaient dans l’hostilité du massif et la proximité des glaciers un havre, loin des lois et loin des hommes qui les faisaient appliquer. La seconde raison est d’ordre esthétique : Kerlingarfjöll est l’un des joyaux de l’île, qui a forgé l’expression “terre de feu et de glace”. Les pics enneigés de cette chaîne se dressent au beau milieu d’une zone géothermique. En hiver, la différence de température entre le pied du massif et son sommet – le Snækollur, culminant à 1 477 mètres – peut atteindre 70 °C. Les sources d’eau chaude font régulièrement grimper le mercure à 40 °C. De quoi enfiévrer le plus solide des Scandinaves !
Mon point de chute sur la carte s’appelle Ásgarður, “royaume des dieux”, camp de base reculé au nord du Kerlingarfjöll, à l’orée de gorges étroites. D’apparence déserte, le lieu abrite quelques cahutes en bois de forme triangulaire, de part et d’autre d’une rivière aux odeurs de soufre.
Sur la piste qui mène à Ásgarður, je croise Pàll, gardien de ces confins depuis quinze ans, et deux de ses amis venus spécialement de Reykjavík pour l’aider à préparer la prochaine saison, car, l’été, Kerlingarfjöll est prisé des randonneurs et il faut donc avant et après entretenir les sentiers pour les accueillir. Ces supplétifs m’invitent dans leur refuge de montagnards : une baraque semblable aux autres mais plus grande. Sur les mansardes sont placardés de vieilles cartes de la région, des skis d’un autre siècle, une photographie de 1990 primée dans un concours international. Il y a de quoi tenir un siège : des béquilles mémorielles, un feu pour sécher les chaussures, du pain, du vin. Nous parlons peu et buvons vite. Tommi cuit des œufs, sort de la viande séchée et en découpe des lanières plus larges que des steaks. Un poste de télévision est allumé. Pàll tape du poing sur la table. La météo vient d’être dite.
“L’hiver est là. On y est les gars ! Cinquante centimètres de neige fraîche annoncés dans deux jours. Les couleurs vont disparaître. D’ailleurs, le Français, dans quarante-huit heures le petit col au sud qui te fait redescendre sur le plateau sera bouché pour les six prochains mois. C’est un goulet qui encaisse pas mal… Je ne m’y risquerais pas : tu pourrais avoir de la neige jusqu’au cou et de dangereuses coulées dans la descente.
— C’est emmerdant. Mais neige ou pas neige, je n’ai que dix jours de bouffe dans le sac pour rejoindre la côte Sud, à 300 kilomètres. Et Kerlingarfjöll ne peut être snobée. Je reste ici demain. Ensuite, je partirai, affirmé-je.
— Si t’arrives à passer le col, tu pourras te sécher à Klakkskàli ; je te file les clés, enfin le code qui ouvre le boîtier où il y a les clés. Y a un poêle, du bois et quelques allumettes. T’y seras bien, comme à la maison !… Au fait, tu sens le cheval. Y a une douche en bas, à côté de nos boots et de la motoneige.
— C’est de l’eau que vous captez directement de la rivière ?
— Oui !… Elle sort à 35 °C. Non potable évidemment, mais ça, t’as dû sentir l’odeur d’œuf pourri en arrivant !” »
(p. 116-118)

Suðurland, se sauver (p. 153-155)
Vatnajökull : le géant de glace (p. 207-209)
Extrait court
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