Collection « Sillages »

  • Une famille en chemin
  • Ísland
  • Namaste
  • La 2CV vagabonde
  • Habiter l’Antarctique
  • Cavalières
  • Damien autour du monde
  • À l’ombre de l’Ararat
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • Carpates
  • Âme du Gange (L’)
  • Pèlerin de Shikoku (Le)
  • Ivre de steppes
  • Tu seras un homme
  • Arctic Dream
  • Road Angels
  • L’ours est mon maître
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Cavalier des steppes
  • Odyssée amérindienne (L’)
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborigènes
  • Diagonale eurasienne
  • Brasil
  • Route du thé (La)
  • Dans les pas de l’Ours
  • Kamtchatka
  • Coureur des bois
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Siberia
  • Sur la route again
  • À l’écoute de l’Inde
  • Seule sur le Transsibérien
  • Rivages de l’Est
  • Solitudes australes
  • Espíritu Pampa
  • À l’auberge de l’Orient
  • Sans escale
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Errance amérindienne
  • Sibériennes
  • Unghalak
  • Nomade du Grand Nord
  • Sous l’aile du Grand Corbeau
  • Au cœur de l’Inde
  • Pèlerin d’Orient
  • Pèlerin d’Occident
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Au vent des Kerguelen
  • Volta (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Atalaya
  • Voie des glaces (La)
  • Grand Hiver (Le)
  • Maelström
  • Au gré du Yukon
Couverture
L’Aube – Amance, km 268, 19 avril ~ Romain :

« Nous poursuivons la découverte de la France et de la multitude de petits pays qui la compose. Les étangs se suivent depuis le Der, ainsi des forêts, dans lesquelles Justine et moi nous égarons parfois, quand nos pensées ou les vers de l’aède grec nous font perdre la balise rouge et blanche des GR. Le pays d’Orient n’a rien d’un désert. Son terroir, dépourvu de longues caravanes de chameaux, n’a de levantin que son nom qu’il doit aux anciens propriétaires des bois : les Templiers. La voix de Justine résonne dans les chênaies. Plusieurs parcelles ont été ratiboisées pour élever la forêt que les Compagnons s’attellent à faire renaître sur le toit de Notre-Dame de Paris.
L’argile abonde, favorisant la naissance des étangs et la création, comme dans le Der, de plusieurs lacs artificiels. Au sortir de Dienville s’étend ainsi le réservoir d’Amance. Les infrastructures de sa base de loisirs sont riches et invitent à troquer l’itinérance pour la vacance. Mais les pédalos restent sur la berge. Les jeux se tiennent, sans enfants pour les animer. Les tables de pique-nique sont rases et les glaciers fermés. Le froid est saisissant. Nous sommes tout seuls sur les rives du lac, prenant notre collation à la va-vite, derrière une guitoune en bois, cherchant à nous abriter des souffles d’Éole. Les rafales font se dresser des vagues sur les eaux fuligineuses comme sur les champs coiffés d’herbes hautes. Les balançoires aux sièges vides vont et viennent. Le temps est gris et les averses, si elles sont courtes, fouettent nos mains froides. Nous pressons le pas pour gagner au plus vite Amance.
Les chauffeurs routiers nous encouragent. Du haut de la cabine dominant leur bahut, plein à craquer de bois ou de bêtes, Mickaël avec ses énormes écharpes de l’estac, Tom-tom et ses grelots multicolores puis Coco, que l’on peine à apercevoir sous des montagnes de froufrous, offrent à notre convoi un concert de klaxons. Pourquoi ne pas devenir chauffeurs routiers ? Voilà un métier qui siérait à mon tempérament d’ours. La marche dans laquelle nous nous sommes lancés doit nous permettre de mûrir une réflexion sur l’activité que je souhaite exercer. J’avais, dès le lendemain de ma mise au ban, deux, trois pistes d’embauche immédiate. J’aurais pu très vite reprendre le cours d’une vie professionnelle traditionnelle. Ce licenciement aurait pu n’être qu’un dos-d’âne après lequel on retrouve promptement sa vitesse de croisière. Mais mon limogeage ne se limite pas à la perte d’un emploi. Le retrait d’une habilitation ne ferme pas les portes d’une entreprise, mais d’un secteur entier. Dans ces conditions, c’est une vocation qui est remise en cause. Sans raison, on avait jeté un seau d’eau sur les braises d’une passion qui m’anime depuis des années. Elles sont encore fumantes. J’ai besoin de temps pour digérer, penser au futur? Que faire ? Et où ? Il fallait tenter d’analyser, de décortiquer la maille que les Parques avaient crochetée pour nos vies. Le sort qu’elles réservent à la carrière de Justine demeure un mystère. Alors, nous puisons dans nos rencontres de l’inspiration pour une reconversion. Instituteurs ? Traiteurs ? Rebouteux ? Thanatopracteurs ? Voilà une profession qui attire Justine depuis quelques années, une attirance que les memento mori du tympan de l’église de Dienville ont ravivée. « Toujours Enyalios est le même pour tous : par lui, tel qui tuait à son tour est tué », c’est sur ce vers de l’Iliade que nous pénétrons dans le gîte d’étape d’Amance.
C’est la première fois que notre diagonale croise un chemin de pèlerinage, et c’est afin d’accueillir les marcheurs qui le foulent que la municipalité entretient un lieu d’accueil sobre, dans lequel nous entrons promptement, en quête de chaleur. Quelques lits sur la droite ; une grande cheminée au centre ; à gauche, la cuisine. Au fond, une porte donne sur une salle d’eau minimaliste. Je sors glaner des bûches pour alimenter le foyer. C’est le début d’une ronde qui durera jusqu’au petit matin. Il me faudra répéter toute la nuit les allers et retours entre le gîte et l’abri à bois attenant. Je ne cesserai de déranger les araignées venues chercher un peu de paix entre les billots que la cheminée engloutira avidement. La température monte lentement à l’intérieur du chalet dans lequel nous gardons nos doudounes. Nos chemises, rapidement lavées à la main, sèchent à la bonne flambée devant laquelle nous avons posé Homère. Tout sent le bois et la fumée. Dehors, il pleut des cordes. Une silhouette fine, élancée, progresse vers l’abri. Une pèlerine entre, trempée. Elle se défait de sa cape de pluie et libère sa chevelure brune. Elle parcourt, pendant ses congés, des tronçons de la via Francigena, troquant momentanément les tours de la Défense pour les fanaux des layons. Elle marche pour s’alléger l’esprit et remettre ses compteurs à zéro. Depuis deux semaines, avec un sac de 6 kilos sur le dos, elle pérégrine et se déleste. Mais demain déjà, il lui faudra reprendre le cours d’une vie faite d’amoncellement de biens et d’encombrement de l’esprit.
Les andouillettes de Troyes sont notre folie culinaire de la semaine, volant la vedette à l’avoine le temps d’une soirée. Elles éclatent sur une grille hors d’âge, posée sur la braise. La municipalité a déposé sur un des matelas du dortoir une gigoteuse pour Homère. Une attention anonyme et chaleureuse mais insuffisante pour faire barrage à la fraîcheur qui pénètre progressivement le gîte. Entre deux jets de bûches nocturnes, je prendrai place devant le foyer, pendant que les femmes et le petit dormiront. Je me laisserai alors hypnotiser par la danse sensuelle des flammes, rêvant qu’elles consument certains de mes songes, les emportant avec elles vers le ciel dans un tourbillon de fumée. »
(p. 52-54)

Prologue – Sedan, le 31 mars 2024 (p. 13-16)
Le Lot-et-Garonne – Tournon-d’Agenais, km 1 216, 8 juillet ~ Justine (p. 183-185)
Extrait court
© Transboréal : tous droits réservés, 2006-2025. Mentions légales.
Ce site, constamment enrichi par Émeric Fisset, développé par Pierre-Marie Aubertel,
a bénéficié du concours du Centre national du livre et du ministère de la Culture et de la Communication.