Robinson de Trindade ? :
« Passer au large de cette île est comme un hymne à la vie dans les mers australes : cap au sud !
Le soleil a le goût des mises en scène grandioses. L’île, masse noire de roches tourmentées, émerge des flots sur fond d’aube, tandis que le ciel vire du bleu profond à l’orange en un dégradé imperceptible. Toute la nuit, Saturnin, immobilisé par le calme, a roulé sur les vagues. L’île, à peine discernable sur l’horizon de la nuit, fantôme jouant à cache-cache avec le reste de houle, a meublé mes pensées nocturnes. Une borne sur la route de mon tour du monde, comme un grand cap à franchir ! Adieu tourmente et embruns glacés ; exit les mains endolories à force de manipuler le rêche tissu des voiles ; parties les nuits d’angoisse à veiller dans la tempête : cette première étape, je la boucle dans la douceur et, plutôt que de me rebeller contre le calme, me laisse envoûter par le spectacle marin. Quel privilège de regarder se lever cette aube d’un bout à l’autre, depuis le moment toujours froid au cours duquel la nuit cède lentement place à la lumière, jusqu’à l’émergence d’un soleil flamboyant ! Sur la toile de fond de l’incendie, l’île se dessine en mystère de ténèbres. La pointe nord-ouest de Trindade évoque une scène d’apocalypse. Toute la roche transpire de sa lutte contre les flots agressifs. De profondes fissures entaillent les falaises en d’immenses cicatrices. Sentinelles isolées à la merci de leurs ennemis, les massives tours de roches défient l’érosion de la mer avant de finir en aiguille de basalte bafouant les lois de l’équilibre. Quelle fin sublime cela doit être que de s’écrouler dans l’océan en faisant jaillir l’écume argentée ! Par-delà les pentes, derrière les pics acérés, un plateau sommital reçoit des arbres dans la fraîcheur de l’altitude.
Je longe la côte nord-est dont les pentes accueillantes abritent un village, lieu de villégiature de l’armée brésilienne. Y a-t-il en ce moment une présence humaine sur l’île ? Je n’en sais rien et cela n’a pas d’importance car, de toute manière, je ne m’arrêterai pas. Alors pourquoi approcher si près de la côte, pourquoi scruter aux jumelles les bâtiments à la recherche d’un signe de vie ? J’ai besoin de savoir si le village est habité, je l’espère même. Peut-être pour que d’autres humains soient les témoins involontaires du premier tournant de mon aventure, peut-être pour m’assurer que les hommes existent encore hors de mon monde maritime, ou bien pour participer au ballet du monde et offrir à d’autres la vision poétique de voiles blanches se jouant des risées à portée du rivage. Aucune présence n’anime le village tandis que je longe la plage en fin de matinée. Des yeux, je dévore les pentes aux couleurs changeantes, alternance de verts tendres ou profonds, d’ocres et de jaunes sur le fond noir des roches volcaniques. Cette fête des couleurs sous le soleil tropical me revigore après trois semaines et demie de mer. Vaguement, inconsciemment, je m’imagine Robinson de Trindade, parcourant mon domaine en maître absolu. J’imagine, je rêve, à la fois déçu d’avoir trouvé le lieu déserté et soulagé de n’avoir pas écorché ma solitude? jusqu’à ce que l’île disparaisse derrière l’horizon. »
Avec les pétrels (p. 88-90)
Coup de vent nocturne (p. 135-137)
Extrait court
« Passer au large de cette île est comme un hymne à la vie dans les mers australes : cap au sud !
Le soleil a le goût des mises en scène grandioses. L’île, masse noire de roches tourmentées, émerge des flots sur fond d’aube, tandis que le ciel vire du bleu profond à l’orange en un dégradé imperceptible. Toute la nuit, Saturnin, immobilisé par le calme, a roulé sur les vagues. L’île, à peine discernable sur l’horizon de la nuit, fantôme jouant à cache-cache avec le reste de houle, a meublé mes pensées nocturnes. Une borne sur la route de mon tour du monde, comme un grand cap à franchir ! Adieu tourmente et embruns glacés ; exit les mains endolories à force de manipuler le rêche tissu des voiles ; parties les nuits d’angoisse à veiller dans la tempête : cette première étape, je la boucle dans la douceur et, plutôt que de me rebeller contre le calme, me laisse envoûter par le spectacle marin. Quel privilège de regarder se lever cette aube d’un bout à l’autre, depuis le moment toujours froid au cours duquel la nuit cède lentement place à la lumière, jusqu’à l’émergence d’un soleil flamboyant ! Sur la toile de fond de l’incendie, l’île se dessine en mystère de ténèbres. La pointe nord-ouest de Trindade évoque une scène d’apocalypse. Toute la roche transpire de sa lutte contre les flots agressifs. De profondes fissures entaillent les falaises en d’immenses cicatrices. Sentinelles isolées à la merci de leurs ennemis, les massives tours de roches défient l’érosion de la mer avant de finir en aiguille de basalte bafouant les lois de l’équilibre. Quelle fin sublime cela doit être que de s’écrouler dans l’océan en faisant jaillir l’écume argentée ! Par-delà les pentes, derrière les pics acérés, un plateau sommital reçoit des arbres dans la fraîcheur de l’altitude.
Je longe la côte nord-est dont les pentes accueillantes abritent un village, lieu de villégiature de l’armée brésilienne. Y a-t-il en ce moment une présence humaine sur l’île ? Je n’en sais rien et cela n’a pas d’importance car, de toute manière, je ne m’arrêterai pas. Alors pourquoi approcher si près de la côte, pourquoi scruter aux jumelles les bâtiments à la recherche d’un signe de vie ? J’ai besoin de savoir si le village est habité, je l’espère même. Peut-être pour que d’autres humains soient les témoins involontaires du premier tournant de mon aventure, peut-être pour m’assurer que les hommes existent encore hors de mon monde maritime, ou bien pour participer au ballet du monde et offrir à d’autres la vision poétique de voiles blanches se jouant des risées à portée du rivage. Aucune présence n’anime le village tandis que je longe la plage en fin de matinée. Des yeux, je dévore les pentes aux couleurs changeantes, alternance de verts tendres ou profonds, d’ocres et de jaunes sur le fond noir des roches volcaniques. Cette fête des couleurs sous le soleil tropical me revigore après trois semaines et demie de mer. Vaguement, inconsciemment, je m’imagine Robinson de Trindade, parcourant mon domaine en maître absolu. J’imagine, je rêve, à la fois déçu d’avoir trouvé le lieu déserté et soulagé de n’avoir pas écorché ma solitude? jusqu’à ce que l’île disparaisse derrière l’horizon. »
(p. 58-59)
Avec les pétrels (p. 88-90)
Coup de vent nocturne (p. 135-137)
Extrait court